Page:Verne - Un capitaine de quinze ans, Hetzel, 1878.djvu/288

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
278
UN CAPITAINE DE QUINZE ANS

de vendre l’emporte peut-être sur l’envie d’acheter. Chez ces sauvages d’Afrique, l’offre se produisait avec autant de passion que la demande.

Pour les indigènes des deux sexes, le lakoni est un jour de fête, et, s’ils n’avaient pas mis leurs plus beaux habits, et pour cause, ils portaient du moins leurs plus beaux ornements. Chevelures divisées en quatre parties recouvertes de coussinets et en nattes rattachées comme un chignon, ou disposées en queues de poêle sur le devant de la tête avec panaches de plumes rouges, — chevelures à cornes recourbées empâtées de terre rouge et d’huile, comme ce minium qui sert à luter les joints des machines, — dans ces amas de cheveux faux ou vrais, un hérissement de brochettes, d’épingles de fer ou d’ivoire, souvent même, chez les élégants, un couteau à tatouage fiché dans la masse crépue, dont chaque cheveu, enfilé un à un dans un sofi ou perle de verre, forme une tapisserie de grains diversement colorés, — tels étaient les édifices qui se voyaient le plus communément sur la tête des hommes. Les femmes préféraient diviser leur chevelure en petites houppes de la grosseur d’une cerise, en tortillons, en torsades dont les bouts figuraient un dessin en relief, en tire-bouchons disposés le long de la face. Quelques-unes, plus simples et peut-être plus jolies, laissaient pendre leurs cheveux sur leur dos, à la manière anglaise, et d’autres, à la mode française, les portaient en franges coupées sur le front. Et presque toujours, sur ces tignasses, un mastic de graisse, d’argile, ou de luisante « nkola », substance rouge extraite du bois de santal, si bien que ces élégantes semblaient être coiffées de tuiles.

Il ne faudrait pas s’imaginer que ce luxe d’ornementation ne fût appliqué qu’à la chevelure des indigènes. À quoi serviraient les oreilles, si on n’y passait des chevillettes de bois précieux, des anneaux de cuivre découpés à jour, des chaînes de maïs tressées qui les ramènent en avant, ou de petites gourdes, servant de tabatières, — au point que les lobes détendus de ces appendices tombent parfois jusqu’aux épaules de leurs propriétaires ? Après tout, les sauvages de l’Afrique n’ont pas de poches, et comment en auraient-ils ? De là, nécessité de placer où ils peuvent et comme ils le peuvent, les couteaux, pipes et autres objets usuels. Quant aux cous, aux bras, aux poignets, aux jambes, aux chevilles, ces diverses parties du corps sont incontestablement pour eux destinées à porter des bracelets de cuivre ou d’airain, des cornes découpées et ornées de boutons brillants, des rangs de perles rouges, dites samé-samés ou « talakas », et qui étaient très à la mode alors. Aussi, avec ces bijoux, étalés à profusion, les riches de l’endroit avaient-ils l’aspect de châsses ambulantes.