et, depuis lors, il ne semblait pas que la situation pécuniaire de Nicolef se fût améliorée. Non ! impossible de s’acquitter envers la maison de banque. S’il venait demander du temps, elle se montrerait impitoyable. Ce ne serait pas le débiteur qu’elle frapperait, ce serait l’adversaire politique qui serait tué du coup.
Les frères Johausen ne se doutaient guère qu’une circonstance imprévue, improbable, allait favoriser leur projet. Ils auraient eu à leur disposition la foudre du ciel, qu’ils n’auraient pu frapper et plus mortellement leur populaire rival.
Cependant, conformément à l’ordre de son maître, Trankel s’était empressé — peut-être ce mot n’est-il pas d’une absolue justesse — s’était empressé d’obéir. La mine penaude, le pied hésitant, mais en homme qui connaît le chemin du bureau de police pour l’avoir maintes fois suivi, il quitta la maison de banque, laissa à gauche le château à murailles jaunes, résidence du gouverneur des provinces, passa entre les baraques du marché, où se vend tout ce qui est vendable, objets de bric-à-brac, bibelots d’une valeur contestable, défroques lamentables, sujets religieux et ustensiles de cuisine ; puis, désireux de se donner du cœur, il s’offrit une tasse de ce thé brûlant additionné de vodka, dont les marchands ambulants font un lucratif commerce ; il jeta un vague regard aux petites lessiveuses du lavoir, traversa les rues où des galériens, traînant des charrettes, défilaient sous les ordres d’un garde-chiourme, plein d’égards envers ces braves gens que ne déshonore point une condamnation au bagne pour quelque infraction à la discipline, et, enfin, il arriva tranquillement au bureau de police.
Là, le domestique fut accueilli par les agents comme une vieille connaissance.
Des mains furent tendues vers lui et il y répondit par un affectueux serrement.