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un drame en livonie.

Ils savaient que l’opinion, en général, se déclarait contre le professeur, que le parti allemand cherchait à opérer une pression sur les autorités pour obtenir son arrestation et sa mise en jugement. En somme, le petit peuple, ouvriers, mercenaires, la population indigène, en un mot, était plutôt disposée à prendre fait et cause pour Nicolef, à le soutenir contre ses ennemis, ne fût-ce que par instinct de race, peut-être même sans être absolument convaincue de son innocence. Il est vrai, que pouvaient ces pauvres gens ? Avec les moyens dont disposaient les frères Johausen et leur parti, il n’était que trop facile d’agir sur eux, de les entraîner à des excès, et, ainsi, d’obliger le gouverneur à céder devant un mouvement auquel il eût été dangereux de résister.

Au milieu de cette ville profondément troublée, bien que le faubourg fût incessamment parcouru par des groupes de bourgeois et aussi de cette basse population prête à servir qui la paie, bien qu’il se rît des rassemblements devant sa maison, Dimitri Nicolef conservait un sang-froid hautain, de nature à étonner. Sur la demande de ses enfants, le docteur Hamine était intervenu pour qu’il consentît à ne point sortir. Il eût couru le risque d’être insulté dans les rues, maltraité peut-être. S’étant rendu aux raisons de son ami, tout en haussant les épaules, moins communicatif que jamais, il passait maintenant les longues heures de la journée dans son cabinet de travail. Plus de leçons, ni de celles qu’il donnait au dehors, ni de celles que ses élèves venaient prendre chez lui. Taciturne, n’aimant pas qu’on lui parlât, ne faisant aucune allusion aux imputations dont il était l’objet, il s’était produit en son état moral un trop visible changement, dont ses enfants, ses amis s’alarmaient non sans raison. Aussi le docteur Hamine, d’une amitié qui allait jusqu’au dévouement absolu, leur consacrait-il tout le temps qui lui restait en dehors de ses devoirs professionnels. M. Delaporte et quelques autres