Page:Verne - Une ville flottante, 1872.djvu/142

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tifs. Mais Mr. Mathew n’avait pas le dos tourné, que le marin murmura bon nombre de paroles incompréhensibles, et finit par s’écrier :

« Que diable veut-il dire avec ses barres de misaine ? »

En ce moment, son neveu, John Stiggs, vint le rejoindre sur le gaillard d’avant.

« Eh bien ! mon brave Crockston ? lui dit-il.

— Eh bien ! cela va ! cela va ! répondit le marin avec un sourire forcé. Il n’y a qu’une chose ! Ce diable de bateau secoue ses puces comme un chien qui sort de la rivière, si bien que j’ai le cœur un peu brouillé.

— Pauvre ami ! dit le novice en regardant Crockston avec un vif sentiment de reconnaissance.

— Et quand je pense, reprit le marin, qu’à mon âge je me permets d’avoir le mal de mer ! Quelle femmelette je suis ! Mais ça se fera ! ça se fera ! Il y a bien aussi les barres de misaine qui me tracassent…

— Cher Crockston, et c’est pour moi…

— Pour vous et pour lui, répondit Crockston. Mais pas un mot là-dessus, John. Ayons confiance en Dieu ; il ne vous abandonnera pas. »

Sur ces mots, John Stiggs et Crockston regagnèrent le poste des matelots, et le marin ne s’endormit pas avant d’avoir vu le jeune novice tranquillement couché dans l’étroite cabine qui lui était réservée.

Le lendemain, à six heures, Crockston se leva pour aller prendre son poste ; il monta sur le pont, et le second lui donna l’ordre de monter dans la mâture et d’y faire bonne garde.

Le marin, à ces paroles, parut un peu indécis ; puis, prenant son parti, il se dirigea vers l’arrière du Delphin.

« Eh bien, où vas-tu donc ? cria Mr. Mathew.

— Où vous m’envoyez, répondit Crockston.

— Je te dis d’aller dans les barres de misaine.

— Eh ! j’y vais, répondit le matelot d’un ton imperturbable et en continuant de se diriger vers la dunette.

— Te moques-tu ? reprit Mr. Mathew avec impatience. Tu vas chercher les barres de misaine sur le mât d’artimon. Tu m’as l’air d’un cockney qui s’entend peu à tresser une garcette ou à faire une épissure ! À bord de quelle gabare as-tu donc navigué, l’ami ? Au mât de misaine, imbécile, au mât de misaine ! »

Les matelots de bordée, accourus aux paroles du second, ne purent retenir un immense éclat de rire en voyant l’air déconcerté de Crockston, qui revenait vers le gaillard d’avant.

« Comme ça, dit-il en considérant le mât, dont l’extrémité absolument invisible se perdait dans les brouillards du matin, comme ça, il faut que je grimpe là-haut ?

— Oui, répondit Mr. Mathew, et dépêche-toi ! Par Saint-Patrick, un navire