Page:Verne - Une ville flottante, 1872.djvu/154

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quand on file assez vite pour éviter leurs boulets. Nous allons donc montrer à cet Iroquois comment on marche quand on est fait pour marcher. Faites activer les feux, monsieur Mathew. »

Le second transmit à l’ingénieur[1] les ordres du capitaine, et bientôt une fumée noire tourbillonna au-dessus des cheminées du steamer.

Ces symptômes ne parurent pas être du goût de la corvette, car elle fit au Delphin le signal de mettre en panne. Mais James Playfair ne tint aucun compte de l’avertissement et ne changea pas la direction de son navire.

« Et maintenant, dit-il, nous allons voir ce que fera l’Iroquois. Il a une belle occasion d’essayer son canon de cent et de savoir jusqu’où il porte. Que l’on marche à toute vapeur !

— Bon ! fit Mr. Mathew, nous ne tarderons pas à être salués d’une belle manière. »

En revenant sur la dunette, le capitaine vit miss Halliburtt assise tranquillement près de la lisse.

« Miss Jenny, lui dit-il, nous allons probablement être chassés par cette corvette que vous voyez au vent, et comme elle va nous parler à coups de canon, je vous offre mon bras pour vous reconduire à votre cabine.

— Je vous remercie bien, monsieur Playfair, répondit la jeune fille en regardant le jeune homme, mais je n’ai pas peur d’un coup de canon.

— Cependant, miss, malgré la distance, il peut y avoir quelque danger.

— Oh ! je n’ai pas été élevée en fille craintive. On nous habitue à tout, en Amérique, et je vous assure que les boulets de l’Iroquois ne me feront pas baisser la tête.

— Vous êtes brave, miss Jenny.

— Admettons que je sois brave, monsieur Playfair, et permettez-moi de rester auprès de vous.

— Je n’ai rien à vous refuser, miss Halliburtt », répondit le capitaine en considérant la tranquille assurance de la jeune fille.

Ces mots étaient à peine achevés, que l’on vit une vapeur blanche jaillir hors des bastingages de la corvette fédérale. Avant que le bruit de la détonation fût arrivé jusqu’au Delphin, un projectile cylindro-conique, tournant sur lui-même avec une effroyable rapidité, et se vissant dans l’air, pour ainsi dire, se dirigea vers le steamer. Il était facile de le suivre dans sa marche, qui s’opérait avec une certaine lenteur relative, car les projectiles s’échappent moins vite de la bouche des canons rayés que de tout autre canon à âme lisse.

Arrivé à vingt brasses du Delphin, le projectile, dont la trajectoire s’abaissait sensiblement, effleura les lames, en marquant son passage par une suite de jets d’eau ; puis il prit un nouvel élan en touchant la surface liquide,

  1. Le mécanicien est ainsi appelé dans la marine anglaise.