Page:Verne - Une ville flottante, 1872.djvu/193

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
5
de trois russes et de trois anglais

de son premier voyage d’exploration au lac Ngami et aux chutes du Zambèse, il lui offrit le commandement de cette caravane.

Ceci fait, il fut convenu que le bushman, qui connaissait parfaitement la contrée, conduirait William Emery sur les bords de l’Orange, aux chutes de Morgheda, à l’endroit désigné. C’est là que devait les rejoindre la commission scientifique. Cette commission avait dû prendre passage sur la frégate Augusta de la marine britannique, gagner l’embouchure de l’Orange sur la côte occidentale de l’Afrique, à la hauteur du cap Volpas, et remonter le cours du fleuve jusqu’aux cataractes. William Emery et Mokoum étaient donc venus avec un chariot qu’ils avaient laissé au fond de la vallée, chariot destiné à transporter à Lattakou les étrangers et leurs bagages, s’ils ne préféraient s’y rendre par l’Orange et ses affluents, après avoir évité par un portage de quelques milles les chutes de Morgheda.

Ce récit terminé et bien gravé cette fois dans l’esprit du bushman, celui-ci s’avança jusqu’au bord du gouffre au fond duquel se précipitait avec fracas l’écumante rivière. L’astronome le suivit. Là, une pointe avancée permettait de dominer le cours de l’Orange, en aval de la cataracte, jusqu’à une distance de plusieurs milles.

Pendant quelques minutes, Mokoum et son compagnon observèrent attentivement la surface de ces eaux qui reprenaient leur tranquillité première à un quart de mille au-dessous d’eux. Aucun objet, bateau ou pirogue, n’en troublait le cours. Il était trois heures alors. Ce mois de janvier correspond au juillet des contrées boréales, et le soleil, presque à pic sur ce vingt-neuvième parallèle, échauffait l’air jusqu’au cent cinquième degré Fahrenheit[1] à l’ombre. Sans la brise de l’ouest, qui la modérait un peu, cette température eût été insoutenable pour tout autre qu’un bushman. Cependant, le jeune savant, d’un tempérament sec, tout os et tout nerfs, n’en souffrait pas trop. L’épais feuillage des arbres qui se penchaient sur le gouffre le préservait d’ailleurs des atteintes immédiates des rayons solaires. Pas un oiseau n’animait cette solitude à ces heures chaudes de la journée. Pas un quadrupède ne quittait le frais abri des buissons et ne se hasardait au milieu des clairières. On n’aurait entendu aucun bruit, dans cet endroit désert, quand bien même la cataracte n’eût pas empli l’air de ses mugissements.

Après dix minutes d’observation, Mokoum se retourna vers William Emery, frappant impatiemment la terre de son large pied. Ses yeux, dont la vue était si pénétrante, n’avaient rien découvert.

« Et si vos gens n’arrivent pas ? demanda-t-il à l’astronome.

  1. 40,55 centigrade.