Le whist fut impossible, car les tables fuyaient sous la main des joueurs. Les échecs étaient impraticables. Quelques intrépides, étendus sur les canapés, lisaient ou dormaient. Autant valait braver la pluie sur le pont. Là, les matelots vêtus de suroîts et de casaques cirées se promenaient philosophiquement. Le second, juché sur la passerelle, bien enveloppé de son caoutchouc, faisait le quart. Sous cette averse, au milieu de ces rafales, ses petits yeux brillaient de plaisir. Il aimait cela, cet homme, et le steam-ship roulait à son gré !
Les eaux du ciel et de la mer se confondaient dans la brume à quelques encablures du navire. L’atmosphère était grise. Quelques oiseaux passaient en criant à travers cet humide brouillard. À dix heures, par tribord devant, on signala un trois-mâts barque qui courait vent arrière ; mais sa nationalité ne put être reconnue.
Vers onze heures, le vent mollit et tourna de deux quarts. La brise hala le nord-ouest. La pluie cessa presque subitement. L’azur du ciel se montra à travers quelques trouées de nuages. Le soleil apparut dans une éclaircie et permit de faire une observation plus ou moins parfaite. La notice porta les chiffres suivants :
Lat. 46° 29′ N.
Long. 42° 25′ W.
Distance : 256 miles.
Ainsi donc, bien que la pression eût monté dans les chaudières, la vitesse du navire ne s’était pas accrue. Mais il fallait en accuser le vent d’ouest, qui, prenant le steam-ship debout, devait considérablement retarder sa marche.
À deux heures, le brouillard s’épaissit de nouveau. La brise retombait et fraîchissait à la fois. L’opacité des brumes était si intense que les officiers postés sur les passerelles ne voyaient plus les hommes à l’avant du navire. Ces vapeurs accumulées sur les flots constituent le plus grand danger de la navigation ; elles causent des abordages impossibles à éviter, et l’abordage en mer est plus à craindre encore que l’incendie.
Aussi, au milieu des brumes, officiers et matelots veillaient avec le plus grand soin, surveillance qui ne fut pas inutile, car, subitement, vers trois heures, un trois-mâts apparut à moins de deux cents mètres du Great-Eastern, ses voiles, masquées par une saute de vent, ne gouvernant plus. Le Great-Eastern évolua à temps et l’évita, grâce à la promptitude avec laquelle les hommes de quart l’avaient signalé au timonier. Ces signaux, fort bien réglés, se faisaient au moyen d’une cloche disposée sur la dunette de l’avant. Un coup signifiait : navire devant. Deux coups : navire par tribord. Trois coups : navire par bâbord. Et aussitôt l’homme de barre gouvernait de manière à éviter l’abordage.