Page:Verne - Une ville flottante, 1872.djvu/98

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« Messieurs, dit le docteur T… d’un ton solennel, notre ami Drake, un gentleman dont tout le monde a pu apprécier le mérite et les manières, nous a envoyés vers vous pour traiter d’une affaire délicate. C’est-à-dire que le capitaine Fabian Mac Elwin, auquel nous nous étions d’abord adressés, vous a désignés tous les deux comme ses représentants dans cette affaire. Je pense donc que nous nous entendrons, comme il convient à des gens bien élevés, touchant les points délicats de notre mission. »

Nous ne répondions pas et nous laissions le personnage patauger dans sa « délicatesse ».

« Messieurs, reprit-il, il n’est pas discutable que les torts ne soient du côté du capitaine Mac Elwin. Ce monsieur a, sans raison et même sans prétexte, suspecté l’honorabilité de Harry Drake dans une question de jeu ; puis, avant toute provocation, il lui a fait la plus grave insulte qu’un gentleman puisse recevoir… »

Toute cette phraséologie mielleuse impatienta le capitaine Corsican, qui se mordait la moustache. Il ne put y tenir plus longtemps.

« Au fait, monsieur, dit-il rudement au docteur T…, dont il coupa la parole. Pas tant de mots. L’affaire est très simple. Le capitaine Mac Elwin a levé la main sur M. Drake. Votre ami tient le soufflet pour reçu. Il est offensé. Il exige une réparation. Il a le choix des armes. Après ?

— Le capitaine Mac Elwin accepte ?… demanda le docteur, démonté par le ton de Corsican.

— Tout.

— Notre ami Harry Drake choisit l’épée.

— Bien. Où la rencontre aura-t-elle lieu ? À New-York ?

— Non, ici, à bord.

— À bord, soit, si vous y tenez. Quand ? Demain matin ?

— Ce soir, à six heures, à l’arrière du grand roufle qui, à ce moment, sera désert.

Cela dit, le capitaine Corsican, me prenant le bras, tourna le dos au docteur T…


XXX


Éloigner le dénouement de cette affaire n’était plus possible. Quelques heures seulement nous séparaient du moment où les deux adversaires se rencontreraient. D’où venait cette précipitation ? Pourquoi Harry Drake n’attendait-il pas pour se battre que son adversaire et lui fussent débarqués ? Ce navire, affrété par une compagnie française, lui semblait-il un terrain plus propice à cette rencontre qui devait être un duel à mort. Ou