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Page:Verne - Vingt mille lieues sous les mers.djvu/388

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côtes de l’Asie et de l’Amérique. Il compléterait ainsi son tour du monde sous-marin, et reviendrait vers ces mers où le Nautilus trouvait la plus entière indépendance. Mais si nous retournions au Pacifique, loin de toute terre habitée, que devenaient les projets de Ned Land ?

Nous devions, avant peu, être fixés sur ce point important. Le Nautilus marchait rapidement. Le cercle polaire fut bientôt franchi, et le cap mis sur le promontoire de Horn. Nous étions par le travers de la pointe américaine, le 31 mars, à sept heures du soir.

Alors toutes nos souffrances passées étaient oubliées. Le souvenir de cet emprisonnement dans les glaces s’effaçait de notre esprit. Nous ne songions qu’à l’avenir. Le capitaine Nemo ne paraissait plus, ni dans le salon, ni sur la plate-forme. Le point reporté chaque jour sur le planisphère et fait par le second me permettait de relever la direction exacte du Nautilus. Or, ce soir-là, il devint évident, à ma grande satisfaction, que nous revenions au nord par la route de l’Atlantique.

J’appris au Canadien et à Conseil le résultat de mes observations.

« Bonne nouvelle, répondit le Canadien, mais où va le Nautilus ?

— Je ne saurais le dire, Ned.

— Son capitaine voudrait-il, après le pôle sud, affronter le pôle nord, et revenir au Pacifique par le fameux passage du nord-ouest ?

— Il ne faudrait pas l’en défier, répondit Conseil.

— Eh bien, dit le Canadien, nous lui fausserons compagnie auparavant.

— En tout cas, ajouta Conseil, c’est un maître homme que ce capitaine Nemo, et nous ne regretterons pas de l’avoir connu.

— Surtout quand nous l’aurons quitté ! » riposta Ned Land.

Le lendemain, premier avril, lorsque le Nautilus remonta à la surface des flots, quelques minutes avant midi, nous eûmes connaissance d’une côte à l’ouest. C’était la Terre du Feu, à laquelle les premiers navigateurs donnèrent ce nom en voyant les fumées nombreuses qui s’élevaient des huttes indigènes. Cette Terre du Feu forme une vaste agglomération d’îles qui s’étend sur trente lieues de long et quatre-vingts lieues de large, entre 53° et 56° de latitude australe, et 67° 50′ et 77° 15′ de longitude ouest. La côte me parut basse, mais au loin se dressaient de hautes montagnes. Je crus même entrevoir le mont Sarmiento, élevé de deux mille soixante-dix mètres au-dessus du niveau de la mer, bloc pyramidal de schiste, à sommet très-aigu, qui, suivant qu’il est voilé ou dégagé de vapeurs, « annonce le beau ou le mauvais temps, » me dit Ned Land.

« Un fameux baromètre, mon ami.

— Oui, monsieur, un baromètre naturel, qui ne m’a jamais trompé quand je naviguais dans les passes du détroit de Magellan. »