Page:Verne - Voyage au centre de la Terre.djvu/229

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« Bon, fit mon oncle en observant l’heure, dans dix minutes il se remettra en route.

— Dix minutes ?

— Oui. Nous avons affaire à un volcan dont l’éruption est intermittente. Il nous laisse respirer avec lui. »

Rien n’était plus vrai. À la minute assignée, nous fûmes lancés de nouveau avec une extrême rapidité. Il fallait se cramponner aux poutres pour ne pas être rejeté hors du radeau. Puis la poussée s’arrêta.

Depuis, j’ai réfléchi à ce singulier phénomène sans en trouver une explication satisfaisante. Toutefois, il me paraît évident que nous n’occupions pas la cheminée principale du volcan, mais bien un conduit accessoire, où se faisait sentir un effet de contre-coup.

Combien de fois se reproduisit cette manœuvre, je ne saurais le dire. Tout ce que je puis affirmer, c’est qu’à chaque reprise du mouvement, nous étions lancés avec une force croissante et comme emportés par un véritable projectile. Pendant les instants de halte, on étouffait ; pendant les moments de projection, l’air brûlant me coupait la respiration. Je pensai un instant à cette volupté de me retrouver subitement dans les régions hyperboréennes par un froid de trente degrés au-dessous de zéro. Mon imagination surexcitée se promenait sur les plaines de neige des contrées arctiques, et j’aspirais au moment où je me roulerais sur les tapis glacés du pôle ! Peu à peu, d’ailleurs, ma tête, brisée par ces secousses réitérées, se perdit. Sans les bras de Hans, plus d’une fois je me serais brisé le crâne contre la paroi de granit.

Je n’ai donc conservé aucun souvenir précis de ce qui se passa pendant les heures suivantes. J’ai le sentiment confus de détonations continues, de l’agitation du massif, d’un mouvement giratoire dont fut pris le radeau. Il ondula sur des flots de laves, au milieu d’une pluie de cendres. Les flammes ronflantes l’enveloppèrent. Un ouragan qu’on eût dit chassé d’un ventilateur immense activait les feux souterrains. Une dernière fois, la figure de Hans m’apparut dans un reflet d’incendie, et je n’eus plus d’autre sentiment que cette épouvante sinistre des condamnés attachés à la bouche d’un canon, au moment où le coup part et disperse leurs membres dans les airs.