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LES ANGLAIS AU POLE NORD

Et, à l’aide de larges mèches trempées dans cette liqueur, dont la flamme pâle léchait les parois du poêle, il put élever de quelques degrés la température de la salle.

Pendant les jours qui suivirent cette scène désolante, le vent revint dans le sud, le thermomètre remonta ; la neige tourbillonna dans une atmosphère moins rigide. Quelques-uns des hommes purent quitter le navire aux heures les moins humides du jour ; mais les ophtalmies et le scorbut retinrent la plupart d’entre eux à bord ; d’ailleurs, ni la chasse ni la pêche ne furent praticables.

Au reste, ce n’était qu’un répit dans les atroces violences du froid, et, le 25, après une saute de vent inattendue, le mercure gelé disparut de nouveau dans la cuvette de l’instrument ; on dut alors s’en rapporter au thermomètre à esprit-de-vin, que les plus grands froids ne parviennent pas à congeler.

Le docteur, épouvanté, le trouva à soixante-six degrés au-dessous de zéro (−52° centig.). C’est à peine s’il avait jamais été donné à l’homme de supporter une telle température.

La glace s’étendait en longs miroirs ternis sur le plancher ; un épais brouillard envahissait la salle ; l’humidité retombait en neige épaisse ; on ne se voyait plus ; la chaleur humaine se retirait des extrémités du corps ; les pieds et les mains devenaient bleus ; la tête se cerclait de fer, et la pensée confuse, amoindrie, gelée, portait au délire. Symptôme effrayant : la langue ne pouvait plus articuler une parole.

Depuis ce jour où on le menaça de brûler son navire, Hatteras rôdait pendant de longues heures sur le pont. Il surveillait, il veillait. Ce bois, c’était sa chair à lui ! On lui coupait un membre en en coupant un morceau ! Il était armé et faisait bonne garde, insensible au froid, à la neige, à cette glace qui roidissait ses vêtements et l’enveloppait comme d’une cuirasse de granit. Duk, le comprenant, aboyait sur ses pas et l’accompagnait de ses hurlements.