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LES ANGLAIS AU POLE NORD

une ouverture de champs de glace, tantôt lutter de vitesse avec un ice-berg qui menaçait de fermer la seule issue praticable ; ou bien quelque bloc, se renversant à l’improviste, obligeait le brick à reculer subitement pour ne pas être écrasé. Cet amas de glaces entraînées, amoncelées, amalgamées par le courant du nord, se pressait dans la passe, et, si la gelée venait à les saisir, elles pouvaient opposer au Forward une infranchissable barrière.

Les oiseaux se trouvaient en quantités innombrables dans ces parages ; les pétrels et les contre-maîtres voltigeaient çà et là, avec des cris assourdissants ; on comptait aussi un grand nombre de mouettes à tête grosse, à cou court, à bec comprimé, qui déployaient leurs longues ailes et bravaient en se jouant les neiges fouettées par l’ouragan. Cet entrain de la gent ailée ranimait le paysage.

De nombreuses pièces de bois allaient à la dérive, se heurtant avec bruit ; quelques cachalots à têtes énormes et renflées s’approchèrent du navire ; mais il ne fut pas question de leur donner la chasse, bien que l’envie n’en manquât pas à Simpson, le harponneur. Vers le soir, on vit également plusieurs phoques, qui, le nez au-dessus de l’eau, nageaient entre les grands blocs.

Le 22, la température s’abaissait encore ; le Forward força de vapeur pour gagner les passes favorables ; le vent s’était décidément fixé dans le nord-ouest ; les voiles furent serrées.

Pendant cette journée du dimanche, les matelots eurent peu à manœuvrer. Après la lecture de l’office divin, qui fut faite par Shandon, l’équipage se livra à la chasse des guilleminots, dont il prit un grand nombre. Ces oiseaux, convenablement préparés suivant la méthode clawbonnienne, fournirent un agréable surcroît de provisions à la table des officiers et de l’équipage.

À trois heures du soir, le Forward avait atteint le Kin de Sael est-quart-nord-est, et la montagne de Sukkertop sud-est-quart-d’est-demi-est ; la mer était fort houleuse ; de temps en temps, un vaste brouillard tombait inopinément du ciel gris. Cependant, à midi, une observation exacte put être faite. Le navire se trouvait par 65° 20′ de latitude et 54° 22′ de longitude. Il fallait gagner encore deux degrés pour rencontrer une navigation meilleure sur une mer plus libre.

Pendant les trois jours suivants, les 24, 25 et 26 avril, ce fut une lutte continuelle avec les glaces ; la manœuvre de la machine devint très-fatigante ; à chaque minute, la vapeur était subitement interrompue ou renversée, et s’échappait en sifflant par les soupapes.

Dans la brume épaisse, l’approche des ice-bergs se reconnaissait seulement à de sourdes détonations produites par les avalanches ; le navire virait alors