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AVENTURES DU CAPITAINE HATTERAS

Aux inquiétudes morales de l’équipage se joignaient alors des fatigues accablantes, car, le 12 mai, le brick se trouvait enfermé de toutes parts ; sa vapeur était impuissante. Il fallut s’ouvrir un chemin à travers les champs de glace. La manœuvre des scies était fort pénible dans ces floes[1], qui mesuraient jusqu’à six et sept pieds d’épaisseur ; lorsque deux entailles parallèles divisaient la glace sur une longueur d’une centaine de pieds, il fallait casser la partie intérieure à coups de hache et d’anspect ; alors on élongeait des ancres fixées dans un trou fait au moyen d’une grosse tarière ; puis la manœuvre du cabestan commençait, et on halait le navire à bras ; la plus grande difficulté consistait à faire rentrer sous les floes les morceaux brisés, afin de livrer passage au bâtiment, et l’on devait les repousser au moyen de poles, longues perches munies d’une pointe en fer.

Enfin, manœuvre de la scie, manœuvre du halage, manœuvre du cabestan, manœuvre des poles, manœuvres incessantes, obligées, périlleuses, au milieu du brouillard ou des neiges épaisses, température relativement basse, souffrances ophthalmiques, inquiétudes morales, tout contribuait à affaiblir l’équipage du Forward et à réagir sur son imagination.

Lorsque les matelots ont affaire à un homme énergique, audacieux, convaincu, qui sait ce qu’il veut, où il va, à quel but il tend, la confiance les soutient en dépit d’eux-mêmes ; ils sont unis de cœur avec leur chef, forts de sa propre force, et tranquilles de sa propre tranquillité. Mais, à bord du brick, on sentait que le commandant n’était pas rassuré, qu’il hésitait devant ce but et cette destination inconnus. Malgré l’énergie de son caractère, sa défaillance se tra-

  1. Glaçons.