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Page:Verrier - Essai sur les principes de la métrique anglaise, 2e partie, 1909.djvu/100

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<)0 ESTHÉTIQUE DU RYTHME

■cherche aussi à l'attirer dans ses bras. Tyrtée n'exhale pas seulement l'ar- tleur guerrière dont brûle en vain son âme : il se propose d'exciter les Spartiates à une guerre déterminée, à des combats particuliers. Ce ne sont «ncore là que des fins précises, où pousse justement l'émotion exprimée par le chant. Il en est d'autres qui n'ont aucun rapport direct avec ce genre d'émotions. Par l'alternance de la tension et de la détente, en satisfaisant à chaque unité rythmique l'attente du temps marqué, le rvthme procure par lui-même une sensation agréable, un plaisir. Il attire l'attention sur les pensées et les grave dans la mémoire, surtout quand il s'organise sous lorme de mètre. Aussi est-il naturel qu'on y ait eu souvent recours, surtout avant l'invention de l'écriture et de l'imprimerie, pour raconter l'histoire, ou plutôt les légendes, et exposer toutes sortes de doctrines. On a rédigé en vers les Travaux et les Jours, des thèses philosophiques De Rerum Natura, des Gcor^^iques et des traités didactiques de toute espèce, voire la liste des départements français avec indication des préfectures et sous-pré- fectures. Mais si tout en cherchant à imprimer dans l'esprit des idées, des ■conseils pratiques, des maximes, des théories, des séries de faits, ces poè- mes ne traduisent pas en même temps des émotions par le sens et la mu- sique des mots, ils n'ont rien à voir avec l'art proprement dit. ils n'ont <le poèmes que le nom.

C. — LE RYTHME DANS L'ART.

§ 9^. C'est donc l'introduction du rythme dans les mouvements du corps •et dans la parole, de même que dans les bruits de divers objets sonores, <|ui a transformé en art — en danse, en chant, en musique instrumentale — les manifestations physiologiques des émotions. Mais comment a-t-on «té amené à y mettre un rythme ? Quelle en est la cause ?

§ 95. C'est en partie, sans aucun doute, le principe du moindre effort : pour économiser le renouvellement de la dépense d'éneroie sous forme d attention, de réflexion et de volonté, on répète déjà à intervalles égaux le sanglot, le soupir, le cri, le mouvement simple ou complexe. Écoutez un enfant qui crie ou sanglote (i).

(i) Il y a d'ailleurs un rythme dans nos sensations et nos émotions : il se communique avix con- tractions musculaires par lesquelles elles se traduisent spontanément (v. Herbert Spencer, Pre- miers Principes, p. 284 et suiv.). L'intensité d'une sensation ou émotion ne peut rester percep- tible qu'en se modifiant, en passant par des hauts et des bas : c'est là une des causes du rvlhme et l'un de ses effets. En réalité, il y a un rythme dans tout processus physiologique ou psvchique, qu'il s'agisse de l'innervation motrice, de la sensation, du sentiment, de l'attention, delà volonté ou de l'intelligence : l'effort alterne avec la détente, l'impulsion dans un sens avec l'impulsion en sens inverse, le mouvement avec l'arrêt, le mobile avec le mobile opposé, le motif avec le contre- motif, l'affirmation avec la négation, etc., dans une oscillation, une fluctuation, un va-et-'v-ient continuels. Ce rythme vital se manifeste dans le langage par un rythme au moins esquissé d'in- tensité, d'énergie articulaloire et de sonorité, souvent aussi de durée, de hauteur et même de timbre. Cp. Jac. van Ginnekcn, Principes de Linguistique psychologique, Paris, 1907, p. 262 et