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Page:Verrier - Essai sur les principes de la métrique anglaise, 2e partie, 1909.djvu/194

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l8/| ESTHÉTIQUi; DU UYTHME

Le voix humaine n'emploie guère d'unités rythmiques, simples ou com- posées, qui soient identiques à tous les points de vue : timbre, hauteur, intensité, vitesse, durée. Tout au plus peut-on citer la répétition rythmée de certaines exclamations : oh ! — ah ! — mon Dieu ! — les lampions ! — hou, hou, la calotte ! — conspuez Zola, conspuez Zola, conspuez ! — , etc. Mais cette répétition monotone ne se prolonge jamais bien longtemps: la douleur, l'impatience, l'indignation, la haine s'engourdit pour l'instant, qu'elle qu'en soit la vivacité ou la dose, ou plutôt l'excitation du cri s'émousse par la fatigue et par l'habitude et elle cesse ainsi de fournir à l'émotion un dérivatif assez puissant. Il est rare, d'ailleurs, qu'on ne cher- che pas bientôt à l'aviver en accélérant le tempo (cp. § 70, 1°, fin), en ren- forçant les temps marqués, en criant plus fort ou plus haut.

§ 17g. On comprend donc qu'en musique et en poésie il faille aussi au rythme une certaine variété. En supposant que sous l'effet d'un même choc l'émotion s'accroisse sans cesse, elle s'épuisera bien vite par l'excès. D'or- dinaire, nous nous habituons peu à peu à ce choc, et, l'accoutumance endor- mant notre attention, nous n'y sommes plus sensibles. Ou bien si notre activité se maintient dans le même état, cet état devient permanent et n'existe plus pour nous : c'est le vide. Dans les deux cas, faute d'activité sensible, nous nous endormons réellement, comme au rythme monotone des vagues apaisées ou plutôt encore au glouglou d'un ruisseau.

La variété des unités rythmiques, simples ou composées, rend d'abord le rythme plus difficile à percevoir pour une oreille peu exercée, et par con- séquent moins actif. Mais ensuite l'attention est tenue en éveil et par l'at- tente de variations plus ou moins régulières ou par la surprise de variations plus ou moins imprévues, et par l'efïort nécessaire pour percevoir le rythme à travers ces variations. Cet exercice plus délicat de l'activité et ces impressions plus fugitives, mais plus piquantes, sont aussi plus agréables aux esprits alfinés par l'hérédité et par la pratique du rythme que la régu- larité brutale, qui épuise ou fatigue trop vite leur sensibilité (i).

§ 180. D'autre part, les changements d'intensité, de vitesse et de durée sont mis en relief par l'attente et la surprise. Ils ressortent avec bien plus de force sur le dessin en principe uniforme du rythme que dans la libre bigarrure de Voraiio soluta. L'effet en est donc beaucoup 'plus puissant, et pour exprimer et pour exciter les divers mouvements de notre sensibi- lité.. Comme ceux-ci se transforment ou se modifientsans cesse, le musicien et le poète y adaptent leur rythme, qu'ils transforment ou modifient en con- séquence. Le rythme fondamental rend ou détermine le fond permanent de notre sensibilité, tandis que les variations rythmiques en traduisent ou en provoquent les nuances plus ou moins délicates. Toutes les vagues partici- pent suivant le même rythme à l'ondulation générale de la mer ; mais cha-

(i) L'atténuation du rythme chez les civilisés et chez les modernes, par comparaison aux sau- vages et aux anciens, ne prouve donc peut-être pas qu'ils y soient moins sensibles, tout au con- traire: pour le sentir, nous n'avons pas besoin qu'on nous déchire ou nous rebatte les oreilles; nous ne voulons pas non plus qu'il nous absorbe et nous empêche de goûter la mélodie et l'har- monie.