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Page:Vers et Prose, Tomes 13 à 16, mars 1908 à mars 1909.djvu/245

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en se laissant bercer très haut par cet immense
océan d’éther bleu, dans l’oscillation
du monde qui frissonne imperceptiblement
sur son axe, avec une mollesse veloutée.
Et la mère soudain, détacha son visage
du creux paisible de sa main, pour regarder
aux aguets tout autour, en tendant les oreilles.
Mais aussitôt le bon démon accourut pour lui dire :
« Viens donc, chère âme, viens boire aux flots du Léthé.
Tu n’as pas assez bu ! » Et la mère inclina
son visage pour boire l’onde pleine d’oubli.
Tandis qu’elle buvait ses yeux laissaient couler
des larmes qui tombaient dans le fleuve nocturne.
Et néanmoins le bon démon pressa
suavement sa nuque, avec délicatesse,
en lui disant : « Encore ! encore, chère âme !
Tu n’as pas assez bu ! » Et la mère obéit.
Tout en buvant ses yeux pleuraient à flots pressés.
Oh ! ciel ! mais c’est en vain ! car elle ne buvait
que l’oubli de l’offense,
si bien qu’en se levant, les yeux voilés de larmes,
elle dit : « Oh ! Je sens que mon pauvre enfant pleure.
Ô bon démon, emporte-moi donc près de lui ! »
Et le démon ne put s’y opposer,
car le cœur d’une mère est plus puissant qu’un Dieu.
Il descendit en conduisant la femme qui pleurait
et l’emporta jusqu’au marais d’Acherusia.
Longtemps, longtemps la pauvre mère erra
parmi l’informe amas de ces algues fangeuses,
courant parmi la boue et se précipitant
à toutes les crevasses qui vomissaient des larmes,
chaque fois que son âme angoissée entendait