Page:Vers et Prose, tome 10, juin-juillet-août, 1907.djvu/101

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À INGEBORG STUCKENBERG

À UNE MORTE


Tristement, au crépuscule, nous écoutions la musique rêveuse de tes yeux ; et ta bouche taciturne, d’un amer courage, s’accordait au songe mélancolique de ton regard.

Dans la pompe de ta marche de somnambule tu suivais une allée humide et pâlie par le terne automne, le cœur éperdûment gonflé de tant de choses dont si peu, si amèrement peu subsistera.

Ah ! qu’une femme, avec un bel aspect fidèle, intimement rongée pourtant par la douleur, par l’outrage des désillusions, peut se bâtir de châteaux dans le soleil et dans la lune, se découper, dans du papier doré, des étoiles !…

Et ton âme était remplie de carillons qui t’emportaient au loin, au-dessus des vagues et de la mer, parmi une escorte d’insensibles modulations vers une contrée fabuleuse, mais réelle pour toi.

Dans la musique rêveuse de tes yeux — combats, espoirs, tourbillons, revenants — revivaient des spectres de livres et de siècles sans nombre… Tu ne te résignais pas à ce que la vie nous quittât !

Tes sœurs de vingt ans aux lèvres rouges de baisers et de mensonges, elles n’ont pas le calme de tes deux yeux d’inquiétude agrandis ni ce rayonnement d’ineffable printemps.