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POÈME

DE JAROSLAV VERCHLISKY


Amarus


Il était reclus au couvent, depuis l’enfance ;
D’où venait-il ? Pourquoi ? Comment ? Il l’ignorait.
Comme il était Fils du Péché, on le nommait
Amarus. Il était grand, blême et pensif,
L’œil rivé sur la terre, il semblait, sans répit,
Poursuivre l’inconnu. La Lune, un soir, dorant
Les noirs barreaux de sa cellule, il dit à Dieu :
« Pour mon cilice, et pour mon jeûne et pour mes veilles,
Pour ma vie à jamais sacrifiée, une grâce !
Je t’en prie, ô mon Dieu, dis-moi quand je mourrai ? »
À peine eût-il pensé sa pensée, un ange
Vint chuchoter à son esprit : « Fils, tu mourras
La nuit où dans la lampe, âme du sanctuaire,
Tu n’auras point versé d’huile »… Les jours, les ans
Passent. Amarus est triste et silencieux,
Et chaque soir, en versant l’huile dans la lampe,
Il se redit : « Voici que j’allume mon âme. »
Et sourit gravement.