Aller au contenu

Page:Vers et prose, tomes 5-8, 1906-1907.djvu/462

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.


Depuis longtemps déjà, le rivage s’était tu ; les derniers paniers de poissons avaient été enlevés des barques, quelque part la dernière porte s’était refermée, le dernier cabaret était clos et la dernière fenêtre s’était éteinte ; la mère Caradec veillait encore. Elle attendait son fils et sa fière « Je Cherche ». Elle attendait.

La nuit retomba silencieuse, obscure, humide. Les brumes enveloppaient le monde de leurs voiles noirs, mouillés, sur lesquels de temps en temps brillaient les éclats argentés de lumières lointaines. L’océan s’effondrait lourdement dans l’obscurité, les eaux s’amassaient ; on entendait la foule tumultueuse des vagues sortir des profondeurs et éclabousser les bords avec une plainte. La lutte sauvage, acharnée, avec la terre, recommençait.

Le village dormait, les maisonnettes en granit s’étaient assoupies, et les ruelles étroites, les routes interminables reposaient inertes au fond de la nuit.

Dans la chapelle déserte, embrumée, une lampe brûlait et parmi les reflets tremblants, dorés, émergeait, spectrale, la figure violette de la Sainte-Vierge et ses yeux immobiles regardaient à travers le brouillard, à travers le monde entier.

Assise sur le seuil, la mère Caradec égrenait un chapelet.

Patiemment elle attendait son fils et sa « Je Cherche ».

La pluie filtrait sans cesse et la frappait à la tête avec un murmure monotone assoupissant. Parfois les lames du flux crachaient sur elle une immonde écume salée ; mais elle ne sentait pas le froid ; absorbée dans sa prière elle ne savait ce qui se passait autour d’elle.

Elle disait son chapelet, pesant longtemps chaque grain, murmurant chaque mot avec un infini amour ; cette prière la défendait contre l’inquiétude et la frayeur dont les serpents flamboyants enveloppaient son cœur en des étreintes étouffantes. Par moments elle oubliait la prière, le chapelet s’échappait de ses mains et ses yeux se dirigeaient, craintifs, dans l’obscurité menaçante et lugubre.

Elle cherchait son fils là bas et ne trouvait que l’effroi, car, venus des brumes, les terribles fantômes du passé entouraient son âme.

Ils éveillèrent en elle les anciennes minutes maudites et douloureuses.

— Ayez pitié de moi ô Mère de miséricorde ! — murmurait-elle suppliante, revenant dans le cercle des reflets dorés. Et, comme un oison abandonné, elle se blottissait confiante aux pieds de la statue sacrée ; elle voulait s’enfuir loin de ces fantômes lugubres ; mais les