Page:Vianey - Les Poèmes barbares de Leconte de Lisle, 1933.djvu/134

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Voilà donc de nouveau le décor de l’Inde musulmane ; en voilà de nouveau les voluptés, les vices, les crimes, que la religion n’a point empêchés. Et voilà de nouveau Leconte de Lisle intéressé par la barbarie pittoresque du sang répandu.

Mais voici chez lui une barbarie plus pittoresque encore, et voici un autre aspect, celui-ci sympathique au poète, de l’Islam.

Dans une strophe de Nurmahal, il avait fait apparaître le Fakir tout près de la courtisane. Ici, il met ce saint homme au premier plan. Il fait voir son austérité tolérée, ou plutôt s’imposent aux princes, s’étalant impudemment au milieu des danseuses :


Devant eux, un Fakir demi-nu, maigre et sale,
Mange en un plat de bois du riz de Mangalor,
Assis sur les jarrets au milieu de la salle.

La fange de ses pieds souille la soie et l’or,
Et, tandis que l’on danse, il gratte avec ses ongles
Sa peau rude, en grondant comme un tigre des jungles.


Ce riz mangé dans un plat de bois, ces pieds souillés de fange, ces ongles qui grattent une peau sale ; au second plan, vingt Cipayes la main sur le pommeau, un essaim léger de danseuses, une princesse couverte de rubis : quel admirable concert de barbaries picturales !

Mais ce qui plaît surtout au poète, c’est l’indépendance du Fakir, c’est qu’il ose jeter à la face du maître ses vices, sa vieillesse, sa sottise, c’est qu’il brave