Page:Vianey - Les Poèmes barbares de Leconte de Lisle, 1933.djvu/144

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un tableau admirable, dont la Bible et l’archéologie[1] ont fourni les éléments, il décrit le décor de la captivité, la vie des captifs, leurs souffrances morales : la pire est de songer sans cesse que leur temple est en ruines et que le sombre Iaveh est sourd au fond des cieux. Il ne dit point les fautes que les prophètes leur reprochèrent. Il nous donne, au contraire, l’impression que la foi de ce peuple en son Dieu a fait tout son malheur, qu’elle a brisé en lui tous les ressorts de l’énergie. Il entend donc adresser notre antipathie beaucoup moins aux bourreaux d’Israël qu’à Iaveh qui n’a pas défendu ses adorateurs et à ceux qui leur ont demandé de croire en lui.

Donc, l’auteur de Qaïn, s’inspirant d’Ézéchiel[2], va raconter le rêve d’un Voyant. Cette fiction commode lui permettra d’associer dans la vision de Thagorma, comme fait Ézéchiel dans les siennes, le présent, le passé et le futur. Elle aura cet autre avantage d’autoriser les libertés prises avec l’histoire. À ceux qui pourront dire, par exemple : est-ce que la ville d’Hénokhia exista jamais telle qu’on nous la présente ? la réponse est prête d’avance : je ne vous la présente que comme l’a vue un rêveur.

Thagorma voit d’abord les temps très lointains où la terre était toute jeune. Pour les voir, il se souvient

  1. Sur la façon dont Leconte de Lisle a utilisé les découvertes de l’archéologie, voir le livre de M. Flottes.
  2. Voir D. Mornet, Une source négligée de Qaïn (Mélanges Baldensperger).