Page:Vianey - Les Poèmes barbares de Leconte de Lisle, 1933.djvu/165

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Il me semble bien que Leconte de Lisle a lu la Forêt Vierge d’Aimard et sans doute aussi les Pirates de la prairie, publiés en 1858 ; car dans la forêt du poète je reconnais celles du romancier : ces bouquets d’arbres gigantesques s’élançant dans les airs en affectant les paraboles les plus étranges ; ces immenses nappes d’eau tombant brusquement d’une hauteur considérable et s’engloutissant avec le bruit d’un parc d’artillerie dans des gouffres d’une profondeur insondable ; ces lacs aux bords fangeux où se vautrent avec délices de hideux alligators ; et dans ce pêle-mêle, dans ce tohu-bohu, dans ce chaos inextricable, des animaux de toutes sortes volant, courant, rampant, chantant et sifflant sur tous les tons du clavier humain, mais parmi lesquels Leconte de Lisle n’a retenu que les plus pittoresques et les plus puissants : les gorilles ventrus, les buffles au front plat, les lions rêveurs[1].

Le poète admire la magnifique jeunesse de cette vieille forêt, qui, mille siècles avant la naissance de l’homme, emplissait déjà de son ombre, de son repos, de sa colère un large pan du globe, qui a vu tour à tour jaillir et s’engloutir des continents. Mais la mère des lions a tout à craindre de demain. Sa mort est en chemin. La hache est au flanc de son orgueil. Car les flots vont lui apporter le roi des derniers jours,

  1. Aimard, La Forêt Vierge, t. IV, p. 62 ; Les Pirates, chapitre 1er . — Aimard ne nomme pas les éléphants.