Page:Vianey - Les Poèmes barbares de Leconte de Lisle, 1933.djvu/74

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cris, ô corneilles bavardes ? dit-elle. J’aimais le roi Sigurd ; ce fut toi, Gudrune, qu’il aima. Le haine arma mon bras. Ces dix plaies m’ont vengée.

Alors, écartant les trois femmes sans voix, elle se plonge dix fois une lame dans le sein.

Tel est le récit que nous fait Leconte de Lisle.

Il a combiné ensemble les deux chants de Gudrune. Mais il les a corrigés. C’est chez lui qu’on voit le sang ruisseler jusqu’à remplir la salle ; c’est chez lui que la reine des Huns est livrée vierge à un chef ennemi et qu’au lieu d’émouvoir la pitié de son maître comme dans le lied scandinave, elle ne reçoit de lui que des coups de fouet ; c’est chez lui que les crânes des vaincus sont pendus aux arçons et leurs membres liés à la queue des chevaux ; chez lui que les sanglots de Brunhild sont des hurlements.

La Mort de Sigurd est un des deux premiers poèmes que Leconte de Lisle ait qualifiés, en les publiant le 31 octobre 1858 dans la Revue Contemporaine, de Poésies Barbares. L’autre était la Vision de Snorr. Or, l’on voit bien qu’il a voulu que le qualificatif parût justifié. Il parut justifié en effet. Et il l’était : car le poème était tout à fait conforme à l’idée qu’un lecteur de 1858, nourri de romantisme, pouvait se faire d’un poème barbare.