Page:Viau - Œuvres complètes, Jannet, 1856, tome 1.djvu/388

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Ne sont que vent et que vaines figures.
Mais il est vray que je suis bien atteinct,
Et que mon mal ne sçauroit estre feinct.
Que pleust aux Dieux que le discours des fables
Trouvast en moy ses effects véritables,
Et que le sort me voulust transformer
En quelque object qui ne sceust rien aymer ;
Que je mourusse, ou qu’il me fust possible
De devenir une chose insensible,
Un vent, une ombre, une fleur, un rocher,
Qu’aucun désir ne peust jamais toucher !
O vous, amans qui n’estes plus en vie,
Esprits heureux, qui n’avez plus d’envie,
Là-bas, noyant vos maux en vos erreurs,
Vous trouvez bien plus douces vos fureurs.
Tristes forçats qui remplissez ce gouffre.
Souffrez-vous bien les peines que je souffre ?
Pasles subjects des éternelles nuicts,
Estes-vous bien aussi morts que je suis ?
mon fidelle et mon triste Génie,
Quand tu verras ma trame desunie.
Et que mon ame ira toucher les bords
De la rivière où passent tous les morts,
Voile au désert où ma Philis demeure,
Dy-luy qu’enfin le Ciel veut que je meure.
Que la rigueur de mon injuste sort
Consent enfin de me donner la mort.
Tu la verras peut-estre un peu touchée
Et de ma mort aucunement faschée.
Va donc, Génie, il est temps de partir ;
Vois que mon ame est preste de sortir.
Mais, mon Génie, arreste-toy, je resve,
Ceste douleur me donne un peu de trefve :
J’entends Phillis, son visage me rit,
Le souvenir de ses yeux me guérit.