174 Prière
Soit la fin de ce grand orage
Dont je voy mes jours menassez,
Je vous conjure, ô trouppe sainte !
Par tout l’honneur des trespassez,
De vouloir achever ma plainte.
Gardez bien que la calomnie
Ne laisse de l’ignominie
Aux tourmens qu’elle m’a jurez.
Et que le brasier qu’elle allume,
Si mes os en sont dévorez,
Ne brusle pas aussi ma plume.
Contre tous ces esprits de verre
Autrefois j’avais un tonnerre ;
Mais le temps flatte leur courroux.
Tout me quitte : la Muse est prise,
Et le bruit de tant de verroux
Me choque la voix et la brise.
Que si ceste race ennemie
Me laisse, après tant d’infamie,
Dans les termes de me venger,
N’attendez point que je me venge :
Au lieu du soin de l’outrager,
J’auray soin de vostre louange.
Car, s’il faut que mes forces lutent
Contre ceux qui me persécutent.
De quelle terre des humains
Ne sont leurs ligues emparées ?
II faudroit contr’eux plus de mains
Que n’en auroient cent Briarées.
Ma pauvre ame, toute abàtue
Dans ce long ennuy qui me tue. N’a plus de désirs violens ; Mon courage et mon asseurance Me font de vigoureux eslans Du costé de mon espérance.