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Page:Viau - Œuvres complètes, Jannet, 1856, tome 2.djvu/182

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LETTRE A SON FRERE



Mon frère, mon dernier appuy,
Toy seul dont le secours me dure,
Et qui seul trouves aujourd’huy
Mon adversité longue et dure ;
Amy ferme, ardent, généreux,
Que mon sort le plus malheureux
Pique d'avantage à le suivre,
Achevé de me secourir :
Il faudra qu’on me laisse vivre
Après m avoir fait tant mourir.
 
Quand les dangers où Dieu ma mis
Verront mon espérance morte ;
Quand mes juges et mes amis
T’auront tous refusé la porte ;
Quand tu seras las de prier.
Quand tu seras las de crier.
Ayant bien balancé ma teste
Entre mon salut et ma mort,
Il faut enfin que la tempeste
M’ouvre le sepulchre ou le port.

Mais l’heure, qui la peut sçavoir ?
Nos malheurs ont certaines courses
Et des flots dont on ne peut voir
Ny les limites ny les sources.
Dieu seul cognoist ce changement ,
Car l’esprit ny le jugement
Dont nous a pourveus la nature,
Quoy que l’on vueille présumer.
N’entend non plus nostre advanture
Que le secret flux de la mer.