Aller au contenu

Page:Viau - Œuvres complètes, Jannet, 1856, tome 2.djvu/46

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

Bacchus, tout Dieu qu’il est, riant dans le cristal,
Au prix de tes regards n’ont point trouvé la voye
Qui conduit dans mon ame une parfaite joye.
Si le sort me donnoit la qualité de roy,
Si les plus chers plaisirs s’adressoient tous à moy,
Si j’estois empereur de la terre et de l’onde,
Si de ma propre main j’avois basti le monde,
Et, comme le soleil, de mes regards produict
Tout ce que l’univers a de fleur et de fruict,
Si cela m’arrivoit, je n’aurois pas tant d’aise
Ny tant de vanité que si Cloris me baise ;
Mais j’entens d’un baiser où le cœur puisse aller
Avec les mouvemens des yeux et du parler,
Que son ame sans peine avec moy s’entretienne,
Et que sa volonté seconde un peu la mienne.
Amans qui vous piquez vers un object forcé,
Qui ne sçavez que c’est d’un baiser bien pressé,
Qui ne trouvez l’amour que dans la tyrannie
Et n’aymez les faveurs qu’en tant qu’on vous les nie,
Que vous estes heureux en vos lasches désirs,
Puisque mesme vos maux font naistre vos plaisirs !
Pour moy, chère Cloris, je n’en suis pas de mesme ;
Je ne sçaurois aimer si je ne voy qu’on m’aime,
Et, si peu qu’on refuse à ma saincte amitié,
Je sens que mon ardeur decroist de la moitié.
J’entens que le salaire égale mon service ;
Je pense qu’autrement la constance est un vice,
Qu’amour hait ces esprits qui luy sont trop dévots,
Et que la patience est la vertu des sots ;
Ce que je dis, Cloris, avec plus d’assurance
D’autant que je te voy flatter mon espérance,
Et que, pour nous tenir dans cet heureux lien,
Je voy desjà d’accord ton esprit et le mien.
Aymons-nous, je te prie, et, lorsque mon visage
Te voudra rebuter, ou mon poil, ou mon aage,