Aller au contenu

Page:Viau - Œuvres complètes, Jannet, 1856, tome 2.djvu/51

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée
ELEGIE.

CLORIS, lorsque je songe, en le voyant si belle,
Que la vie est subjette à la loy naturelle,
Et qu’à la fin les traicts d’un visage si beau
Avec tout leur esclat iront dans le tombeau,
Sans espoir que la mort nous laisse en la pensée
Aucun ressentiment de l’amitié passée,
Je suis tout rebuté de l’aise et du soucy
Que nous fait le destin qui nous gouverne icy,
Et, tombant tout à coup dans la melancholie,
Je commence à blasmer un peu nostre folie.
Et fay vœu de bon cœur de m’airacher un jour
La chère rêverie où m’occupe l’amour.
Aussi bien faudra-il qu’une vieillesse infâme
Nous gelé dans le sang les mouvemens de l’ame.
Et que l’aage, en suivant ses révolutions,
Nous oste la lumière avec les passions.
Ainsi je me resous de songer à ma vie
Tandis que la raison m’en fait venir l’envie ;
Je veux prendre un object où mon libre désir
Discerne la douleur d’avecques le plaisir,
Où mes sens tous entiers, sans fraude et sans contrainte.
Ne s’embarrassent plus n’y d’espoir ny de crainte,
Et, de sa vaine erreur mon cœur desabusant.
Je gousteray le bien que je verray présent ;
Je prendray les douceurs à quoy je suis sensible.
Le plus abondamment qu’il me sera possible.
Dieu nous a tant donné de divertissemens.
Nos sens trouvent en eux tant de ravissemens.
Que c’est une fureur de chercher qu’en nous-mesme
Quelqu’un que nous aimions et quelqu’un qui nous aime.
Le cœur le mieux donné tient tousjours à demy,
Chacun s’ayme un peu mieux tousjours que son amy ;