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Page:Viau - Œuvres complètes, Jannet, 1856, tome 2.djvu/68

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Que le monde ne fait que me desplaire aussi.
Au milieu de Paris je me suis fait ermite ;
Dedans un seul object mon esprit se limite ;
Quelque part où mes yeux me pensent divertir,
Je traine une prison d’où je ne puis sortir ;
J’ay le feu dans les os et l’ame deschirée
De ceste flesche d’or que vous m’avez tirée.
Quelque tentation qui se présente à moy,
Son appas ne me sert qu’à renforcer ma foy.
L’ordinaire secours que la raison apporte,
Pour rendre à tout le moins ma passion moins forte,
L’irrite d’avantage et me fait mieux souffrir
Un tourment qui m’oblige en me faisant mourir.
Contre un dessein prudent s’obstine mon courage,
Ainsi que le rocher s’endurcit à l’orage ;
J’aime ma frénésie et ne sçaurois aimer
Aucun de mes amis qui la vôudroit blasmer.
Aussi ne crois-je point que la raison consente
De m’approcher tandis que vous serez absente.
J’entends que ma pensée esprouve incessamment
Tout ce que peut l’ennuy sur un fidelle amant ;
J’entends que le soleil avecques moy s’ennuye,
Que l’air soit couvert d’ombre et la terre de pluye.
Que, parray le sommeil, de tristes visions
Enveloppent mon ame en leurs illusions.
Que tous mes sentimens soient meslez d’une rage.
Qu’au lict je m’imagine estre dans un naufrage.
Tomber d’un précipice et voir mille serpens
Dans un cachot obscur autour de moy rampans.
Aussi bien, loin de vous, une vie inhumaine
Sans doute me sera plus aimable et plus saine.
Car je ne puis songer seulement au plaisir
Qu’une mort ne me vienne incontinent saisir.
Mais, quand le ciel, lassé du tourment qu’il me livre.
Sous un meilleur aspect m’ordonnera de vivre,