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Page:Viau - Œuvres complètes, Jannet, 1856, tome 2.djvu/74

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Mais avec qui bien tost je t’oserois jurer
Vivre indifféremment au lieu de l’adorer.
Je sens que ma raison frémit de mes supplices,
Que mon affection se rend à ses malices ;
Elle est insupportable en sa légèreté,
Elle a trop peu de soin et trop de liberté ;
Elle voit dans mon ame, et, sans m’ouvrir la sienne,
Elle veut posséder absolument la mienne.
Tu sçais comment l’Amour peut forcer quelquefois
A trahir le devoir et transgresser les loix.
Et que, sans le secret de deux esprits fidelles.
Toutes les passions sont un peu criminelles ;
Qu’il est bien dangereux de vivre en confident
Avec qui sans dessein nous perd en se perdant.
Calîste, sourde au bruit d’une mauvaise estime.
Cherche des vanitez à publier un crime.
M’a quelquefois prié de luy donner des vers
Où tout le monde vist tous nos désirs ouvers,
De luy faire une image où cette humeur lascive
Après nos derniers jours parust encore vive.
Vrayement je suis heureux qu’elle m’ait contenté,
Par toutes les faveurs que donne une beauté ;
Ce souvenir m’en donne une si chère joye
Que mes yeux sont jaloux que personne la voye ;
Mesme à toy qui me vois et dedans et dehors.
Je ne te l’ay point dit sans un peu de remords.
Mais, puisqu’elle est d’une ame à ne pouvoir rien taire.
Envers toy ma prudence estoit peu nécessaire ;
Puis que tout est public en cet esprit léger.
Mon secret ne servoit qu’à te desobliger.
Ma patiente humeur flattoit son imprudence,
Et ma discrétion trompoit ta confidence.
Cher Damon, je t’adjure au nom de l’amitié
Qui nous a partagé les cœurs par la moitié.
Pardonne à mon erreur ; enfin je te confesse