Page:Viau - Œuvres complètes, Jannet, 1856, tome 2.djvu/80

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Et, d’un cruel dessein à mes amours perfide,
Goustant tous les plaisirs que peut donner Paris,
J’ay tasché d’estouffer l’amitié de Cloris ;
J’ay veu cent fois le bal, cent fois la comédie.
J’ay des luths les plus doux gousté la mélodie,
Mais, malgré ma raison, encore, Dieu mercy,
Ces divertissemens ne m’ont point réussi :
L’image de Cloris tous mes desseins dissipe,
Et, si peu qu’autre part mon ame s’esmancipe,
Un sacré souvenir de ses beaux yeux absens
A leur premier object faict revenir mes sens.
Lorsque plus un désir de liberté me presse,
Amour, ce confident rusé de ma maistresse,
Luy qui n’a point de foy, me fait ressouvenir
Que j’ay donné la mienne et qu’il la faut tenir ?
Il me fait un serment qu’il a mis mon idée
Dans le cœur de ma dame, et qu’elle l’a gardée.
Me fait imaginer, mais bien douteusement,
Qu’elle aura souspiré de mon esloignement.
Et que bien tost, si l’art peut suivre la nature,
Sa beauté me doit faire un don de sa peinture.
Cela me perce l’ame avec un traict si cher
Qu’il me fait recevoir le feu sans me fascher ;
Cela remet mon cœur sur ses premières traces,
Me fait revoir Cloris avecques tant de grâces,
Me rengage si bien, que je me sens heureux,
Quoyqu’avec tant de mal, d’estre encore amoureux.
Je sçay bien qu’elle m’aime, et cet amour fidelle
Demande avec raison que je despende d’elle,
Et, si nostre destin, par de si fermes loix,
Prescrit aux plus heureux de mourir une fois,
Qu’un autre ambitieux se consume à la guerre,
Et meure dans le soin de conquérir la terre ;
Pour moy, quand il faudra prendre congé du jour,
Puisque Cloris le veut, je veux mourir d’amour.