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Sur un des côtés de l’immense cercle formé par la place se tenait une longue série de voitures, formant comme une galerie intérieure. C’était une ménagerie célèbre appartenant à quelque ancêtre de Pezon et dont j’ai oublié le nom. L’ornement de cette intéressante famille de bêtes féroces, c’était incontestablement un énorme et superbe éléphant blanc, blanc comme celui du roi de Siam, ce qui indiquait une grande vieillesse, car le pachyderme blanchit, tout comme l’homme. Mais, comme il était sobre et philosophe, il avait conservé toutes ses forces.

Depuis plusieurs années, une jolie petite épagneule lui servait de compagnon et ils s’aimaient tous deux d’amour tendre ; un matin, la petite chienne avait disparu sans qu’on ait pu la retrouver et sans que le patron de la ménagerie s’en fût autrement préoccupé, après l’avoir pleurée convenablement pendant une grande semaine avec son cher proboscidien, la gloire de la ménagerie, comme je l’ai dit, et qui s’appelait Alfred, sans que l’on ait jamais pu savoir pourquoi…

Cependant Alfred avait conservé un grand fond de mélancolie depuis la disparition de la petite chienne qui répondait au tendre nom d’Aglaé ; on voyait bien que le vieux philosophe avait été frappé au cœur. Un beau dimanche, alors que la foule joyeuse et pressée couvrait entièrement la Place du Trône, Alfred qui était en train de travailler avec son cornac devant les spectateurs, en dansant une rédowa des mieux rythmées, s’arrêta tout-à-coup. Il fit trois pas en arrière, s’arc-bouta fortement et renversant quelques planches avec son train de derrière, il se trouva sur la place au milieu de la foule s’écrasant et hur-