Page:Victoire de Donnissan de La Rochejaquelein - Mémoires de Madame la marquise de La Rochejaquelein, 1889.djvu/128

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l’état affreux dans lequel nous fûmes, pendant cette cruelle journée. Le district et le général Quétineau cherchèrent à empêcher le massacre et suivirent les soldats hors la ville, mais ils cédèrent à leurs menaces. Le maire[1] s’opposa seul à ce crime avec la plus grande force et se mit devant les prisonniers ; on l’emporta dans les bras, les malheureux furent immolés. Allain était consterné ; il engagea, deux jours après, Clerc-Lassalle[2], commissaire du département, à venir nous parler : c’était un jeune homme fat, bavard ; il parut nous plaindre beaucoup, dit que cette mesure d’arrêter les nobles était occasionnée par la guerre ; que ce n’était pas lui qui nous avait fait mettre en prison, mais son collègue, uniquement parce qu’il trouvait ridicule de voir libres des personnes naturellement suspectes ; que la guerre allait finir, on allait raser tous les bois, toutes les haies du pays, décimer les hommes, emmener tous les habitants dans le centre de la France et les remplacer par des colonies patriotes, et il ajoutait ; « C’est dommage que nous soyons forcés à cette mesure par le fanatisme des paysans, qui, du reste, sont les plus honnêtes gens qu’on puisse trouver[3]. » Il dit-il à M. de Lescure : « Celui qui commandait aux Aubiers était le fils de M. de la Rochejaquelein, le connaissez-vous ? — Oui, répondit-il. — — C’est même un de vos parents, je crois, — Vous avez raison. » Heureusement son envie de parler, l’emportant, il ne suivit pas cette conversation, se mit à nous raconter la bataille à sa ma-

  1. René-Pierre-Charles Deschamps, avocat, conseiller du Roi, maire royal de Bressuire, puis, en 1790, maire élu, président du tribunal civil, mort le 3 octobre 1805, à l’âge de soixante-quinze ans.
  2. Pierre-Alexandre, né à Niort le 18 novembre 1765, fils de J. P. Clerc, sieur de la Salle. Défenseur officieux au tribunal criminel des Deux-Sèvres et administrateur du département, délégué en 1793 pour organiser la défense contre les Vendéens. Juge suppléant sous l’Empire, député de la gauche en 1822, il protesta contre l’expulsion de Manuel, quitta la Chambre et ne fut pas réélu. Il mourut le 2 juillet 1837, au Grand-Breuil, canton de Mauzé-sur-Mignon.
  3. Éloge mérité, aveu remarquable dans la bouche d’un ennemi ! Encore aujourd’hui, les fédérés propriétaires sont sûrs de n’être pas trompés par leurs métayer qui pourtant se sont battus contre eux à chaque guerre. (Note de l’auteur.)