Page:Victoire de Donnissan de La Rochejaquelein - Mémoires de Madame la marquise de La Rochejaquelein, 1889.djvu/143

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Le soir, nous fûmes surpris et édifiés de voir dans chaque chambre tous les soldats à genoux, répétant le chapelet dit par l’un d’eux, et nous apprîmes qu’ils ne manquaient jamais de le faire trois fois par jour. Bressuire ne fut point pillé, à l’exception de trois ou quatre maisons, où on cassa les meubles ; cependant, les paysans portaient une telle haine à la ville, qu’ils démolissaient les murs à coups de pique.

Je ne veux pas oublier deux traits qui prouveront la bonté et la douceur de ces pauvres gens : nous étions dans une chambre avec une trentaine de soldats ; je les entendis se demander les uns aux autres du tabac et s’affliger de n’en pas avoir ; j’interrogeai l’un d’eux, pour savoir si on n’en trouverait pas dans la ville ; il me répondit qu’on en vendait, mais que n’ayant pas d’argent pour en acheter, ils aimeraient mieux mourir que piller. Je chargeai cet homme d’aller en chercher deux livres, et je les lui donnai pour ses camarades ; j’eus beaucoup de peine à les faire accepter. Je vis dans la rue deux cavaliers se poursuivant : l’un reçut un léger coup de sabre, il allait le rendre à son camarade ; mon père, se trouvant là, lui retint le bras en lui disant : « Jésus-Christ a pardonné à ses bourreaux, et tu es de l’armée catholique ! » Aussitôt cet homme embrassa l’autre. À ce propos, je dirai que, tout le temps que j’ai été à l’armée, il n’y a jamais eu de duel. On se battait si souvent contre les Bleus, et on avait si peu d’officiers, qu’on leur faisait sentir la nécessité de se conserver pour les batailles ; les soldats les imitaient.

L’armée alors à Bressuire était composée d’Angevins et de Poitevins des environs de Cholet, Beaupréau, Chemillé, Coron, Mortagne, Maulévrier, Châtillon, Bressuire, etc. ; elle se distinguait des autres par le nom de la Grande Armée ; sa force était presque égale à toutes les autres ensemble. Elle était ordinairement de vingt mille hommes, et dans les grands rassemblements, aisément de quarante mille. C’est elle qui a fait les exploits les plus grands, comme on le verra par la suite, car