Page:Victoire de Donnissan de La Rochejaquelein - Mémoires de Madame la marquise de La Rochejaquelein, 1889.djvu/18

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semblé que je cherchais à diminuer la part qu’il a prise dans une rédaction dont il avait bien voulu se charger. M. Alphonse de Beauchamp avait lu, même avant M. de Barante, mon manuscrit ; il a prétendu que le supplément était de M. de Barante. Au contraire, il n’y a pour ainsi dire pris aucune part ; je l’ai écrit à la hâte, à Bordeaux ; il l’a vu, mais il y a fait à peine quelques corrections. La gloire littéraire de mon excellent ami a trop de titres, pour que mes Mémoires puissent y contribuer.

Ce supplément a peu d’intérêt, il manque de détails ; c’est un résumé et non pas un récit[1]. Les événements qui y sont indiqués étaient trop récents pour pouvoir être librement racontés et appréciés, par moi surtout, qui avais tant souffert et senti si cruellement les malheurs que l’anarchie et le despotisme avaient fait subir à ma famille. J’espérais alors qu’après tant d’infortunes, des jours heureux m’étaient réservés.

M. de la Rochejaquelein venait d’être nommé maréchal de camp, commandant de la compagnie des grenadiers à cheval de la maison du Roi. Il y avait appelé comme officiers des émigrés, des Vendéens et de braves officiers de l’armée impériale ; la plupart des grenadiers avaient servi dans la garde, presque tous étaient décorés. Je me plaisais à vivre entourée de cette famille militaire, et j’étais fière de les entendre appeler les Grenadiers de la Rochejaquelein. Mon mari exerçait sur eux une autorité toute paternelle. Leur fidélité, au 20 mars, répondit à sa confiance. J’avais avec moi mes huit enfants, dont l’aîné n’avait pas douze ans. Je les voyais avec joie entrer dans la vie sous la protection de leur nom, que l’on me disait aimé dans toutes les opinions et dans tous les partis.

Je ne me sens pas le courage de raconter la nouvelle série de malheurs qui tarda si peu à commencer pour moi. Les Cent-Jours arrivèrent : je devins veuve une seconde fois sur les champs de bataille de la Vendée, le 4 juin 1815. Depuis ce moment fatal, j’ai vécu dans le deuil. J’ai perdu plusieurs de mes enfants ; ceux qui me restent ont éprouvé aussi des pertes cruelles. Mon second fils est tombé sous les murs de Lisbonne, en combattant pour la

  1. Ce supplément a formé, depuis la sixième édition, les trois derniers chapitres ; nous ne les avons pas reproduits, n’en ayant pu retrouver le manuscrit autographe.