Page:Victoire de Donnissan de La Rochejaquelein - Mémoires de Madame la marquise de La Rochejaquelein, 1889.djvu/32

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[Le comte de Lescure, nommé colonel d’un régiment de dragons alors en Italie, partit un mois après son mariage, traversa très difficilement les Alpes, couvertes de neige, et arriva la veille de la bataille de Plaisance. Il y fut blessé et ne voulut jamais quitter le champ de bataille ; il était le seul colonel de dragons présent, et les commandait tous, « Ma situation est trop belle, dit-il, à mon âge, pour me retirer. » Blessé une seconde fois, les dragons l’emportaient, un boulet de canon lui fracassa la tête dans leurs bras. La comtesse de Lescure, restée grosse, était une femme d’une profonde piété ; elle consacra ses jours à sa mère et à son fils, le marquis de Lescure. Celui-ci fut traité avec beaucoup de faveur, à cause de son père ; il s’était marié à dix-sept ans, avec Jeanne de Durfort de Civrac, sœur de ma mère. Mme de Lescure mourut en couche, laissant un fils que j’ai épousé ; l’amour que lui portait son mari était si violent, qu’il fallut le garder à vue pour l’empêcher de se tuer.

[À vingt-trois ans, mon oncle, par obéissance pour sa mère, s’était marié en secondes noces avec Mlle de Sommièvre[1]. Il en eut une fille qui mourut en naissant ; sa femme resta quatre ans dans un état cruel, et mourut elle-même avec un courage et une piété au-dessus de tout éloge. Elle adorait son mari, qui, sans l’aimer, lui a toujours témoigné beaucoup d’attentions. Mon oncle était doux, bon, gai, très brave, ce qu’on appelle dans le monde un homme rempli d’honneur ; mais il se livrait avec fureur à tous les amusements, à tous les plaisirs. Tout le monde l’aimait, parce qu’il avait le caractère le plus aimable ; il ne comptait pour rien ni la peine ni la dépense.

[Il était épris de Madame *** ; ce fut elle qui l’entraîna à Ermenonville. Il y passa habituellement les dernières années de sa vie, au milieu de toutes les folies qui ont attaché des souvenirs si singuliers à ce séjour. Mon beau-père était d’une

  1. Anne-Marie-Thérèse de Sommièvre, fille de Gaspard, comte de Sommièvre, et de Louise de Choiseul.