Page:Victoire de Donnissan de La Rochejaquelein - Mémoires de Madame la marquise de La Rochejaquelein, 1889.djvu/40

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le croyait le plus habile et le plus vertueux des hommes (c’était avant l’affaire du collier). Le domestique sortit et revint très vite nous dire de monter. À peine sommes-nous entrés dans un salon assez petit, Cagliostro arrive, escorté de deux hommes, dont l’un était le ministre protestant ; ils paraissaient remplis d’admiration et de joie.] Cagliostro nous reçut avec politesse. Il était assez petit, gros, noir, avec une belle figure ; je fus très étonnée de ce que, entièrement habillé et comme tout le monde, il n’avait point de cravate, le col de sa chemise était renversé, garni de mousseline, comme aux enfants de ce temps-là. On commençait à peine les révérences et les compliments, que sa femme entra et s’empara de moi, à mon grand regret, car je ne pus rien entendre de ce que disait son mari. Mme Cagliostro n’était pas très jeune, mais sa figure, assez jolie, était douce et aimable ; elle était fort petite, un peu grasse, très blanche. Elle était très bien coiffée, avait un chapeau à plumes, des boucles d’oreilles, une robe de mousseline sur un dessous rose, une quantité de garnitures ; [sa toilette n’eût pas été ridicule après dîner, mais à huit heures du matin, elle l’était à l’excès. Je n’avais pas encore quinze ans, elle me traita suivant mon âge, et fut du reste charmante. Elle me parla du lac de Brientz, des promenades, de musique, me força d’essayer un clavecin qui était là tout ouvert ; au bout de quelques minutes, j’enrageais.] Comme nous nous retirions, j’entendis seulement cette singulière phrase, que je n’oublierai jamais : « Soyez sûr, monsieur le marquis, que le comte de Cagliostro tâchera toujours de se rendre utile à vos ordres. »

À notre retour de Suisse, j’avais quinze ans ; maman reprit sa place auprès de Madame Victoire, et moi mon heureuse vie. Je voyais cependant beaucoup moins de monde. Maman, toujours affligée, ne recevait guère que des amis, et sa santé était fort dérangée. Mme de Montmorin[1], ma future belle-mère,

  1. Françoise-Gabrielle de Tanes, née en 1742 à Chadieu, en Auvergne, mariée, en 1764, à Armand-Marc, comte de Montmorin Saint-Hérem ; dame pour accomp-