Page:Victoire de Donnissan de La Rochejaquelein - Mémoires de Madame la marquise de La Rochejaquelein, 1889.djvu/73

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Cependant, je n’étais pas tranquille, tous les seigneurs émigraient et blâmaient M. de Lescure de rester ; mon oncle de Lorge lui écrivait les lettres les plus pressantes. Je parlai à Mme  la princesse de Lamballe, elle demanda de nouveau les ordres de la Reine, à ma sollicitation ; elle la chargea de me rapporter ces propres paroles : « Je n’ai rien de nouveau à dire à M. de Lescure, c’est à lui de consulter son devoir, son honneur et sa conscience, et j’ajoute cette réflexion : les défenseurs du trône sont toujours bien, quand ils sont auprès du Roi. » Mme  de Lamballe me recommanda de nouveau le silence ; je lui témoignai mes craintes sur la réputation de M. de Lescure, que sa position, de toute manière, obligeait d’émigrer, à cause des préjugés du moment, et surtout parce qu’il venait d’hériter de sa grand’mère. Il était arrivé à Paris pour sortir de France ; deux jours après le décret ordonnant de saisir les biens des émigrés avait été rendu, et s’il restait, cela semblait être pour sauver sa grande fortune. Mme  de Lamballe sentait tout cela, mais elle me disait : « Peut-on abandonner la Reine, quand elle a donné des ordres ? Vous ne pouvez douter que les princes n’approuvent ceux qui restent auprès du Roi ; n’est-ce pas la même cause ? »

Je rapportai la réponse de la Reine à M. de Lescure, et lui communiquai mes craintes ; il me dit : « Je serais un homme vil à mes yeux, si je pouvais balancer un instant entre ma réputation et mon devoir : obéir au Roi avant tout ; si j’en suis la victime, au moins je n’aurai rien à me reprocher. J’estime trop tous les émigrés, pour ne pas croire que tous et chacun d’entre eux se conduiraient de même à ma place. J’espère que je serai à portée de prouver que je ne suis pas resté par peur, et que je me battrai ici plus qu’eux là-bas ; en tout cas, si je ne suis pas à portée de rien faire, et que je sois blâmé, j’aurai sacrifié au Roi jusqu’à mon honneur, mais je n’aurai fait que mon devoir. » Tels étaient ses sentiments, je les admirais et j’étais inquiète.