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SIX ANS AUX MONTAGNES ROCHEUSES

Ma grande occupation en semaine était la visite des malades  ; aussitôt que j’apprenais qu’on avait besoin de mon ministère quelque part, je faisais atteler mon vieux cheval au cabriolet ou au traîneau, et par n’importe quel temps je me mettais en route. Le jour ce n’était rien  ; mais plus d’une fois je fus appelé au cœur de la nuit, en plein hiver, pour des moribonds, et alors j’avais besoin de toute mon énergie pour affronter la fatigue et le froid  ; je m’enveloppais soigneusement dans mes fourrures, prenais place au fond du traîneau, à côté du guide qui était venu me chercher, et, emporté à toute vitesse, à travers la neige, je m’abandonnais sans crainte entre les mains de la bonne Providence.

Une fois entre autres, j’arrivai si haletant à la maison du malade qu’on eut de sérieuses inquiétudes. On m’offrit pour me remettre une boisson chaude, mais comme il était minuit passé et que je voulais dire la messe, je refusai et me tirai d’affaire de mon mieux. Toutefois à partir de ce moment l’espèce de suffocation dont je souffrais devint plus intense, et ma santé déclina.

Les enterrements à Frenchtown se faisaient en grande pompe ; l’église tout entière était tendue de noir ; l’office se chantait avec solennité et dévotion, et après l’évangile, selon l’usage, je faisais l’oraison funèbre du mort. Puis le cortège, qui parfois ne comptait pas moins de soixante-dix à quatre-vingts voitures, se dirigeait, la mienne en tête, vers le cimetière. Les prières dites, on découvrait le visage du mort, et chacun venait le contempler une dernière fois. C’était alors une explosion de larmes et de cris de douleur qui me remuait jusqu’au fond de l’âme.

Dès qu’il y a un mort, dans toute l’étendue de la paroisse, on téléphone à l’entrepreneur des pompes funèbres, qui réside au chef-lieu du comté, et qui d’ordinaire est en