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SIX ANS AUX MONTAGNES ROCHEUSES

répétés, immédiatement suivis de cris de terreur et de désespoir, poussés par des femmes. Je sus le lendemain quel drame affreux s’était déroulé la veille, dans une famille que j’avais connue par hasard. Le père, encore jeune et d’allure parfaitement tranquille, avait tué à coups de revolver deux personnes qui logeaient dans sa maison, et voyant sa femme s’enfuir avec sa fillette, il les avait abattues toutes deux sur le pavé de la rue et s’était ensuite brûlé la cervelle.

Le grand événement de l’année 1908 à Seattle fut l’arrivée de la flotte des États-Unis, partie de l’Atlantique pour faire le tour du monde. Une foule immense attendait cette imposante escadre de seize cuirassés, et ce fut une déception générale de la voir émerger de la brume légère, unité par unité, et dans un silence absolu, sans un coup de canon, jeter l’ancre à un kilomètre du rivage. Les Japonais seuls firent quelque bruit, tirèrent force pétards en lançant dans les airs avec quelques fusées d’énormes cerfs-volants en forme de serpents et de dragons. Le soir il y eut réception des amiraux dans la grande salle de bal de l’hôtel Washington. J’y allai avec un compagnon et du haut de la tribune, je suivis des yeux cette scène bien américaine. En Europe, dans les occasions de ce genre, les invités forment la haie dans les salons, et c’est le souverain qui circule à travers la foule, distribuant comme il l’entend ses poignées de main et ses sourires. En Amérique, c’est tout le contraire : le personnage que l’on fête doit se tenir debout, immobile, pendant que la foule défile devant lui, et à chacun il doit serrer la main. Les amiraux étaient debout avec les dames du Comité, en grande toilette de bal  ; les invités serraient la main des officiers, saluaient les dames et passaient à la salle du banquet. Cela dura près de deux heures, et je surpris à