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SIX ANS AUX MONTAGNES ROCHEUSES

Le prêtre est à l’autel, les chants commencent, exécutés par toute la tribu, hommes et femmes  ; c’est une messe grégorienne avec de légères modifications exigées par le goût de nos sauvages et par la portée de leurs voix. Tout alla bien jusqu’au Sanctus  ; mais alors quel ne fut pas mon étonnement d’entendre, au lieu du chant liturgique, un cantique en langue indienne, sur l’air «  Partant pour la Syrie  ! » Sans doute le bon Père Joset, leur premier missionnaire, n’avait pas une idée bien nette de l’origine et de la signification de ce chant lorsqu’il l’enseigna comme air de cantique à ses naïves ouailles.

Pendant la communion, on chanta un autre cantique, cette fois sur l’air «  Au sang qu’un Dieu va répandre  ». Les jeunes femmes vinrent à la sainte Table, avec leurs enfants sur le dos, empaquetés comme je l’ai dit précédemment. En deux jours il y eut 350 communions.

Je dois avouer que, pendant une bonne partie de la messe, je fus distrait par un spectacle à la fois sérieux et comique qui se déroulait à trois pas devant moi. Une jeune Indienne, coiffée d’un foulard de soie rose et blanc, était à genoux par terre, dans son grand châle rouge à carreaux verts et violets, avec bébé sur le dos. Mais bébé n’est pas sage  ; il s’agite et crie. Pour le calmer, sa mère, sans se retourner, lui passe un mouchoir de couleur. Bébé s’amuse un instant à le plier, à le déplier, puis il le laisse tomber. Sa mère le ramasse et le lui rend. Aussitôt son plan est fait : une seconde fois il laisse tomber le mouchoir, puis il le jette à une petite distance. Toujours la mère ramasse et rend par-dessus son épaule avec une patience inaltérable. Bébé prend goût au jeu et jette le mouchoir le plus loin possible : sa mère se traîne sur ses genoux et ramasse. Bébé se lasse du jeu  ; pour se désennuyer, il se met à marteler la tête de sa mère, il lui tire