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SPOKANE ET LES INDIENS

me dit-il  ; et quelle langue préferez-vous  ? le Kalispel ou le Nez-Percé  ?   » Le Kalispel est la langue des sauvages qui habitent les bords du lac de ce nom : Têtes-Plates, Pend-d’Oreilles, etc. Les Cœurs d’Alène parlent aussi Kalispel  ; c’est une langue extrêmement âpre et gutturale. Le Nez-Percé au contraire, à cause du grand nombre de ses voyelles, est d’une prononciation relativement douce et facile. Ma réponse ne se fit pas attendre : je préférais le Nez-Percé. «  Vous irez donc chez les Nez-Percés, pour y vivre et y mourir. Vous partez demain  ». Et il ajouta  ; «  In nomine Domini  », en accompagnant ces paroles d’un geste bénissant.

On raconte que Louis-Napoléon, condamné à la prison a perpétuité, se tourna en souriant vers Berryer, son avocat, et lui dit : «  La perpétuité  ? combien de temps cela dure-t-il en France  ?   » Dans mon cas, comme dans celui du futur empereur, la perpétuité ne dura guère : envoyé chez les Nez-Percés «  pour y vivre et y mourir  », j’y restai quelques mois seulement.

Nous partîmes deux jours après, le R. P. de la Motte voulant bien m’accompagner, pour la Réserve d’Umatilla, près de Pendleton, dans l’Orégon. En passant à la station de Tekoa, j’envoyai de loin un souvenir à nos bons Cœurs d’Alène, et nous continuâmes notre course à toute vapeur vers le Sud-Ouest. Jusqu’à Colfax, nous eûmes sous les yeux les horizons ordinaires du Montana : montagnes boisées et vertes collines. Mais à cet endroit, le paysage change brusquement : plus d’arbres, plus de verdure, du sable et des éboulis de rochers, une vaste solitude couverte d’un linceul de poussière. Voici bientôt sur notre route la grande rivière des Serpents (Snake river). Je me sentis le cœur gros à la vue du spectacle morne et désolé que présentaient les rives de ce fleuve,