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Page:Victor Baudot - Au Pays des Peaux-Rouges.djvu/88

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SIX ANS AUX MONTAGNES ROCHEUSES

ivrognes. Nulle part dans mes postes de la Montagne, je n’étais mieux logé que là, et pourtant mon installation n’était guère luxueuse. J’habitais une chambre à trois lits, dont on congédiait pour ce soir-là les occupants : leurs hardes, pantalons, gilets, etc., restaient accrochés à des cordes, tendues à travers la chambre, en attendant le retour de leurs propriétaires, ce qui n’embellissait pas la perspective. Nous passions la soirée à causer politique ou à écouter un phonographe  ; puis dès 7 h. du matin, on ouvrait un chemin à travers la neige et je me rendais à l’église. Les confessions se faisaient alors derrière un simple rideau  ; plus d’une fois il m’est arrivé, en moins d’une demi-heure, d’en entendre là en quatre langues : anglais, allemand, français pour les Canadiens et italien pour les ouvriers du chemin de fer. L’assistance était peu nombreuse, mais vraiment fervente  ; quelques-uns de ces bons catholiques venaient à pied d’une distance de plusieurs milles, et je vis un jour une jeune mère de famille arriver ainsi, amenant avec elle son nourrisson emmailloté sur un traîneau qu’elle tirait elle-même par des chemins affreux.

À peine l’église était-elle achevée que j’y fis un enterrement : une jeune fille de seize ans avait été horriblement brûlée, le 4 juillet, par l’explosion de fusées tirées à l’occasion de la fête de l’indépendance.  » Toute la population accourut aux funérailles et l’église se trouva pleine. Les protestants étaient en majorité  ; il y avait aussi quelques infidèles non baptisés. Je profitai de l’occasion, non pour faire de la controverse, mais pour parler de la nécessité d’avoir une religion et de la pratiquer fidèlement. «  Si vous êtes protestants, leur dis-je, soyez au moins bons protestants  ; et vous, qui avez le bonheur d’être catholiques, soyez bons catholiques  ».