Page:Victor Baudot - Au Pays des Peaux-Rouges.djvu/91

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
83
UNE PAROISSE AMÉRICAINE

la porte ouverte.  » J’eus alors un pressentiment de ce qui allait arriver. Je ne pouvais fermer l’œil, m’attendant à chaque instant à voir rentrer l’ivrogne. Pendant ces longues heures de la nuit, je n’avais d’autre distraction que des dégringolades de rats qui prenaient leurs ébats autour de mon lit. À une heure enfin j’entends la porte s’ouvrir  ; l’Irlandais rentre, aspire bruyamment l’air, comme l’ogre du Petit Poucet sentant la chair fraîche, et pousse un sourd grognement. «  C’est moi, lui dis-je, je suis le prêtre catholique. — Ah  ! cria-t-il d’une voix avinée, le prêtre catholique… je suis un méchant homme… je veux aller à confesse  »   ; et il s’avançait vers mon lit pour me brutaliser. J’avais heureusement une lampe électrique à côté de moi sur une chaise  ; je pressai le bouton et vis à trois pas de moi la face bestiale et le grand corps titubant de l’ivrogne. Grâce à Dieu, je gardai ma présence d’esprit, et en moins de temps qu’il n’en faut pour le dire, j’avais bondi par-dessus le pied de mon lit, ouvert la porte et me trouvai dans la rue, en chemise et pieds nus. J’avais échappé à cette attaque sauvage  ; il s’agissait maintenant d’échapper à la pneumonie ou à la fluxion de poitrine. La femme entendant du bruit était descendue  ; je lui criai : «  Tâchez donc de l’emmener  ; il ne fait pas bon attendre ici  ». Elle finit par le conduire dans une pièce voisine et je rentrai à pas de loup dans la chambre, retenant mon haleine, de peur d’éveiller l’attention de Patt. À l’aide de ma lampe électrique, je ramassai mes habits qu’il avait dispersés de tous côtés sur le plancher  ; je m’habillai et m’assis près de la porte, prêt à m’élancer dans la rue au premier signal d’une nouvelle agression. Je restai ainsi jusqu’à 6 h. du matin, dans une obscurité complète et dans un profond silence qui n’était interrompu que par les sourds grognements