je ne sais plus ce que je fais, mais je veux me confesser. » J’eus toutes les peines du monde à le décider à se relever et à remettre son dollar dans sa poche. L’attitude de ce pauvre homme était certainement ridicule, et pourtant on ne riait pas autour de moi. Une autre fois, c’était un Canadien, grand et solide gaillard, rouge de vin et de santé, qui allait « se promener » au Canada ; il était lui aussi aux trois quarts ivre. « Monsieur le curé, me dit-il en me voyant, je l’ai, je l’ai… » Et glissant le doigt sous le col de sa chemise, il y cherchait fiévreusement un objet qu’il ne trouvait pas. Enfin après quelques recherches, il tira son scapulaire et le montra triomphalement à toute l’assistance. « Ces chemins de fer, ajouta-t-il, tuent tant de monde ! si moi aussi je suis tué, on verra du moins, quand on me trouvera, que je ne suis pas un c…, mais un bon catholique. »
Dans ce milieu quelque peu fruste du wagon des fumeurs, parmi ces ouvriers en manches de chemise qui chiquaient et crachaient, comme on ne le fait qu’aux États-Unis, je fus toujours entouré d’égards ; on respectait en moi non seulement le curé, mais aussi le magistrat ; car je jouissais de la principale prérogative des juges de paix qui est de marier au civil. Ma présence n’empêchait pas cependant des scènes bruyantes, ni des divertissements parfois dangereux. Ces jeunes gens en goguette jouaient souvent avec leurs revolvers chargés, et l’un d’eux un jour laissa tomber le sien qui nous partit entre les jambes avec une détonation formidable. C’est merveille que personne n’ait été blessé. Lui-même, l’imprudent tireur, tout abasourdi, se tâtait les membres de la façon la plus burlesque pour voir s’il n’avait aucune blessure, et s’étant assuré qu’il n’en avait pas, il se précipita sur une bouteille de bière qu’il avait en réserve