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LIVRE III. — CHAPITRE III.

sément à Ænésidème qu’Aristoclès[1], Sextus[2], Diogène[3], attribuent les dix tropes ; nulle part ils ne sont attribués à aucun autre[4] : il n’en est pas question quand les anciens parlent de l’exposition que fit Timon de la doctrine de Pyrrhon. Et si ces tropes avaient été connus, comment croire que Cicéron n’en eût rien dit[5] ?

Par ce mot tropes (τρόποι, on employait aussi les mots τόποι et λόγοι)[6], les sceptiques désignaient les diverses manières ou raisons par lesquelles on arrive à cette conclusion : qu’il faut suspendre son jugement. Ils indiquaient comment se forme, en général, la persuasion : nous regardons comme certaines les choses qui produisent toujours sur nous des impressions analogues, celles qui ne nous trompent jamais ou ne nous trompent que rarement, celles qui sont habituelles ou établies par les lois, celles qui nous plaisent ou que nous admirons[7]. Mais précisément par les mêmes moyens on peut justifier des croyances contraires à celles qui sont les nôtres : à chaque affirmation on peut opposer une affirmation contraire, appuyée sur des raisons équivalentes, sans que rien permette de décider que l’une est préférable à l’autre. Il suit naturellement de là qu’il ne faut rien affirmer. Ramener à leurs types les plus généraux ces oppositions d’opinion, c’est dresser en quelque sorte la liste des catégories du doute, ou plutôt, car il faut ici un mot nouveau, qui n’implique aucune affirmation, c’est énumérer les tropes : il y en a dix.

  1. Ap. Euseb. Præp. ev., XIV, xviii, 11.
  2. M., VII, 345.
  3. IX, 78, 87.
  4. Le mot τίθησι (Diog. L., IX, 79) s’applique plus naturellement à Ænésidème qu’à Pyrrhon. On pourrait aussi adopter la correction proposée par Nietzsche (Beiträge zür Quellenkunde des Diog. Laert., Basel, 1870, p. 11), qui lit : Τούτους δὲ τοὺς δέκα τρόπους καὶ Θεοδόσιος τίθνσιν ὧν πρῶτος κ. τ. λ.
  5. Zeller relève (p. 25) dans l’exposition de Diogène et de Sextus nombre d’expressions qui ne sauraient être antérieures à l’époque d’Ænésidème.
  6. Sext., P., I, 36. Cf. Pappenheim, Die Tropen der Griech. Skept., p. 13 ; Berlin, 1885.
  7. Diog. L., IX, 78.