Aller au contenu

Page:Victor Brochard - Les Sceptiques grecs.djvu/33

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
23
SOCRATE ET LES SOCRATIQUES.

est de former des hommes utiles, de bons citoyens ; il ne diffère d’eux que par l’idée qu’il se fait du but à atteindre et des moyens les plus propres à y parvenir. Nous ne voulons pas, avec A. Lange, l’accuser d’avoir arrêté les progrès de l’esprit humain et de l’avoir égaré « pour des milliers d’années dans le dédale de l’idéalisme platonicien[1] ». Mais il est certain qu’il professait pour ce que nous appelons aujourd’hui la science positive un dédain excessif. Lorsqu’il recommande d’étudier l’arithmétique et la géométrie seulement dans la mesure où elles sont pratiquement utiles[2], il tient exactement le même langage que tiendra plus tard Sextus Empiricus : c’est vraiment une sorte de scepticisme.

Par la méthode qu’il emploie, Socrate se distingue encore des philosophes qui l’avaient précédé et se rapproche des sophistes. Dès l’instant où il se confinait dans l’analyse des concepts, la dialectique était la seule méthode qui lui convînt. Or il fallait une grande attention pour s’apercevoir que les mêmes moyens peuvent être employés en vue de buts tout différents. Ajoutons que, soit par un défaut inhérent à l’esprit grec, soit par les nécessités que lui imposait une lutte quotidienne avec des esprits exercés et redoutables, la dialectique de Socrate est souvent subtile et paraît captieuse. Encore aujourd’hui, en lisant certains dialogues de Platon, ne nous arrive-t-il pas de nous demander quel est le sophiste ? Il n’est pas surprenant que des contemporains, comme Aristophane, s’y soient trompés. Sur ce point encore, Socrate devait avoir des imitateurs : les philosophes de la nouvelle académie s’autorisent de son nom et le revendiquent pour un des leurs[3].

Enfin, même dans les questions où il avait les convictions les plus arrêtées, dans les questions morales, les nécessités de la discussion et le caractère de sa méthode forçaient Socrate à prendre

  1. Histoire du matérialisme, trad. Pommerol, t. I, p. 50. Paris, Reinwald, 1877.
  2. Xénophon, Mem., IV, vii, 2.
  3. Cic., Ac., I, iv, 16-xii, 44.