Aller au contenu

Page:Victor Brochard - Les Sceptiques grecs.djvu/343

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
333
LE SCEPTICISME. — PARTIE DESTRUCTIVE.

autrement[1]. Il ne parle jamais que pour lui-même ; chacune de ses formules sous-entend : à ce qu’il me semble[2]. Toutes ses formules s’appliquent à elles-mêmes : elles s’enveloppent elles-mêmes. Un purgatif, en même temps qu’il entraîne les humeurs du corps, disparaît avec elles[3]. De même, les formules sceptiques, en supprimant toute certitude, se suppriment elles-mêmes. En un mot, et c’est un point sur lequel Sextus insiste souvent, le sceptique ne fait jamais qu’exprimer l’état purement subjectif où il se trouve, sans rien affirmer de ce qui est hors de lui, sans rien dire qui ait une portée générale[4].

Par conséquent, le sceptique n’est d’aucune secte[5], d’aucune école, à moins qu’on n’entende par là une disposition à suivre, conformément à ce que les sens nous montrent, certaines raisons qui conduisent à bien vivre (non pas au sens moral, mais au sens large du mot bien), et à suspendre son jugement. Les raisons que suit le sceptique lui apprennent à vivre d’après les coutumes, les lois, les institutions de sa patrie, et les dispositions qui lui sont propres.

Le sceptique a un critérium, non pour distinguer le vrai du faux, mais pour se conduire dans la vie. Ce critérium, c’est le phénomène ou la sensation subie, et qui s’impose, sur laquelle la volonté n’a aucune prise[6]. Ne pouvant demeurer tout à fait

  1. P., I, 15, 191, 203, etc.
  2. P., I, 202.
  3. P., I, 206.
  4. P., I, 15 : Τὸ ἑαυτῷ φαινόμενον λέγει καὶ τὸ πάθος ἀπαγγέλλει τὸ ἑαυτοῦ ἀδοξάστως μηδὲν περὶ τῶν ἔξωθεν ὑποκειμένων διαβεβαιούμενος. Cf. I, 10.
  5. Il est impossible de traduire le mot ἀγωγή dont se sert Sextus, et qu’il oppose au mot αἴρεσις trop dogmatique à son gré (P., I, 16). Les mots secte, doctrine, thèse, institution, profession, direction, exprimeraient toujours une idée trop positive, et manqueraient de clarté. Notre langue, amie de la précision, n’a pas de mots pour ces nuances subtiles de pensée. Nous nous servirons, à l’occasion, des mots école ou enseignement, bien qu’ils soient aussi assez impropres ; il faudra seulement entendre qu’il ne s’agit pas d’un corps de doctrines fixe et déclaré immuable, mais seulement d’un groupe d’opinions communes à un certain nombre d’hommes, et adoptées par eux, au sens qui vient d’être dit, c’est-à-dire avec réserves, et sans leur attribuer une valeur absolue.
  6. P., I, 22 : Ἐν πείσει γὰρ καὶ ἀβουλήτῳ πάθει κειμένη ἀξήτητος ἐστιν.