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INTRODUCTION. — CHAPITRE II.

l’impossibilité d’unir deux tenues dans un jugement, de dire par exemple : Le cheval court[1], parce que être cheval et courir sont deux choses très différentes. Il dirige aussi, comme plusieurs cyniques, contre la religion populaire des attaques qui font déjà prévoir Carnéade[2]. Le philosophe mégarique Alexinus[3] combat de même la théorie de Zénon de Citium sur l’âme du monde par un argument que Carnéade s’est plus tard approprié.

Pyrrhon, né à Élis, qu’il ait été le disciple de Bryson, fils de Stilpon ou d’un autre Bryson, fut certainement initié de bonne heure à cette dialectique ou à cette éristique ; et Stilpon fut le maître de Timon. Il y a donc un lien historique entre l’école de Mégare et le pyrrhonisme. Mais c’est surtout plus tard que se manifestèrent les analogies entre les deux écoles. Les trois écoles issues de Socrate devaient, en se transformant, donner naissance aux trois grandes écoles post-aristotéliciennes : les cyniques sont les précurseurs des stoïciens ; les cyrénaïques, des épicuriens ; les mégariques, des sceptiques.

Avec Antisthène et les cyniques, nous voyons apparaître une disposition toute nouvelle à subordonner la science à la morale. Même une théorie d’Antisthène, manifestement inspirée par les souvenirs de l’enseignement de Gorgias, conduisait directement à la destruction de toute science. On ne peut, suivant lui, unir dans un jugement un sujet et un attribut ; car le concept de l’un diffère du concept de l’autre, et de deux choses dont les concepts diffèrent, on ne saurait dire que l’une est l’autre. C’est toujours cette rigoureuse application du principe de contradiction dont nous avons déjà signalé l’abus chez Parménide. Par exemple, dire : l’homme est bon[4], c’est dire que l’homme est autre chose que lui-même. En d’autres termes, toute définition est impos-

  1. Plut., Adv. Colot., 22, 1 ; 23.
  2. Diog., 2. 116.
  3. Voici ce raisonnement, d’après Sextus (M., IX, 108) : Le poète vaut mieux que celui qui n’est pas poète, le grammairien, que celui qui n’est pas grammairien, et de même pour tout le reste. Il n’y a rien de meilleur que le monde : donc le monde est poète et grammairien.
  4. Platon, Soph., 251, B ; Arist., Met., IV, 29.