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LIVRE IV. — CHAPITRE II.

nerons donc à indiquer les autres questions sur lesquelles porte le débat.

On ne saurait se faire une idée du lieu ; car il n’est pas un corps, et ne peut être vide. De plus, puisque, par définition, il contient les corps, et doit par conséquent être hors d’eux, il faut qu’il soit ou la matière ou la forme des corps, ou l’intervalle qui sépare les limites des corps, ou, comme disait Aristote, ces limites mêmes : toutes hypothèses inadmissibles.

Le mouvement est impossible ; car on ne peut comprendre ni qu’un mobile soit mis en mouvement par un autre corps, ni qu’il se mette en marche de lui-même. Les sceptiques s’approprient en outre l’argument de Zénon d’Élée : un corps ne peut se mouvoir, ni dans le lieu où il est, ni dans le lieu où il n’est pas. Restent enfin les difficultés que soulève la question de savoir si le mobile, le temps, le lieu, sont ou non divisibles à l’infini : ni l’opinion des stoïciens, qui admettent la divisibilité à l’infini, ni celle des épicuriens, qui reconnaissent des indivisibles, ni celle de Straton le physicien, qui admet l’indivisibilité dans le temps, mais refuse de la reconnaître dans les mobiles et dans le lieu, ne résistent à l’examen. On retrouve dans cette curieuse discussion la plupart des arguments qui sont encore invoqués de nos jours par les partisans et les adversaires de l’infini actuellement réalisé.

Comme le mouvement et le lieu, le temps ne peut ni être conçu, ni exister ; car il ne saurait être ni fini, ni infini, ni divisible, ni indivisible ; il ne peut ni commencer, ni finir ; il est formé du passé, qui n’est plus, et de l’avenir, qui n’est pas encore ; enfin il n’est ni corporel, ni incorporel.

Le nombre est impossible ; car il n’est ni une essence distincte des choses nombrées, ni une propriété des choses nombrées. En outre, quoi qu’aient dit les pythagoriciens, on ne peut connaître l’unité ; et, comme l’avait montré Platon, on ne peut pas non plus concevoir qu’une unité, s’ajoutant à une autre unité, cesse d’être l’unité et devienne le nombre deux.

Enfin on ne peut comprendre la naissance et la mort. Ce qui